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missionnaires politiques chargés de prêcher l’évangile démocratique ou républicain, pendant que des courtiers électoraux de moindre envergure parcourent les campagnes, secondant l’action des grands chefs.

Le principal intéressé ne reste point inactif. Il a pu arriver parfois, surtout dans la période la plus rapprochée de la fondation de la République, alors que les États de l’Union étaient beaucoup moins nombreux et embrassaient de moindres espaces, qu’un candidat, fort des services rendus au pays, ait pu sans inconvénient abandonner à ses partisans le soin de combattre pour son élection, mais aujourd’hui une candidature présidentielle qui conserverait ce caractère contemplatif risquerait de courir à un échec. Il est de règle que celui qui aspire à l’honneur de gouverner les États-Unis paie de sa personne dans la bataille électorale et, comme un général d’armée, se porte de préférence sur les points où sa présence est jugée le plus nécessaire.

On évalue à plusieurs centaines les discours prononcés par M. Benjamin Harrison pendant les derniers mois qui ont précédé son élection et, au dire des journaux américains, M. Bryan n’aurait pas pris moins de dix-neuf fois la parole dans le trajet de vingt-quatre heures qu’il a effectué de Chicago à New-York quelques jours après que sa candidature avait été proclamée dans la Convention de juillet 1896. Nombre de ces harangues, débitées du haut de la plate-forme du palace car qui transporte le candidat, sont naturellement fort courtes. Bien souvent l’orateur se borne à quelques phrases de remerciement ou d’encouragement adressées à ses auditeurs. Ceux-ci semblent tenir à le voir plus encore qu’à l’entendre et, s’ils peuvent être admis à lui serrer la main, ses chances de succès sont singulièrement accrues. De tout temps, dans l’ancien monde comme dans le nouveau, la poignée de main a joué un rôle important dans les élections. Il y a dix-neuf siècles Salluste citait déjà l’exemple d’un candidat à la préture, qui avait compromis irrémédiablement sa nomination par le manque de conviction avec lequel il accueillait les mains qui se tendaient vers lui. Mais nulle part ce mode de propagande n’a été aussi généralisé qu’en Amérique. Il n’est pas rare d’y voir, pendant l’arrêt d’un train, plusieurs milliers d’inconnus défilant hâtivement devant la portière d’un wagon pour échanger un vigoureux hands shake avec le futur Président ou même avec le Président en exercice.