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il aurait craint de se rapprocher du maître en disant du bien de son disciple. C’est, du moins, ce qui me paraît ressortir de la lettre d’excuses qu’il écrivit à Emile Péhant au mois d’août 1868.

Les Sonnets avaient donc eu, comme on dit à présent, une bonne presse. Mais l’auteur n’en devint pas plus riche pour cela. Au contraire ! il avait vidé sa bourse d’étudiant pour se faire imprimer, et, comme il n’osait pas demander à sa mère de plus grands sacrifices, il était tombé, en 1835, dans une misère noire. J’ai sous les yeux quatre ou cinq lettres à lui adressées à cette époque ; chacune d’elles porte une adresse différente, ce qui prouve qu’il était tout près de coucher à la belle étoile. Enfin Alfred de Vigny, qui ne le perdait pas de vue, le décida à accepter un poste universitaire. Péhant, dans un sonnet dédié à Villemain, avait dit :


Puis-je croire au soleil après tant d’ouragans ?
Oui, car c’est Villemain qui m’ordonne d’y croire ;
Celui dont la honte seule égale la gloire
Ne peut laisser mourir un poète à vingt ans.


Villemain, — pour justifier la confiance que le poète avait mise en lui, — intercéda en sa faveur auprès de M. de Salvandy, qui le nomma professeur de rhétorique au collège de Vienne. Il était sauvé, comme l’écrivait Vigny dans son Journal. Lui-même en avait si bien conscience que trois ans après, de retour à Paris, il rendait grâces encore à M. de Salvandy dans une assez belle ode.


Quand le Rhône se perd sous le sol qui s’entr’ouvre,
Le voyageur le croit englouti pour toujours ;
Mais bientôt il échappe à la nuit qui le couvre,
Et là-bas, au soleil, le regard le découvre,
Comme un long serpent bleu précipitant son cours.

Qu’il aille ! son destin a subi son épreuve,
Car ses Ilots oubliés grossissaient leurs trésors,
Ce n’était qu’un torrent, désormais c’est un fleuve,
Et plus d’une cité qui sans lui serait veuve
De feux reconnaissans couronnera ses bords.

Un jour que je pleurais, pauvre enfant sans ressource,
Un élu du Seigneur[1] m’apparut, et mes vers
Prirent à sa parole, en bondissant, leur course

  1. Alfred de Vigny.