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artifice encore en honneur chez les brodeurs du Guzerat ; la boucle semble sortir de l’officine de quelque orfèvre moderne de Mascate. Toute cette passementerie est franchement orientale. Il serait téméraire de rendre un pareil jugement sur le vêtement. J’ai déjà dit combien il avait peu de caractère ; ses manches larges et courtes à ne recouvrir qu’à moitié les avant-bras, de coupe carrée, n’augmentent point son originalité. Quant au tissu, qui est un velours historié, du genre des holosericea ou velours tout soie, velours à trois poils, ou tierçopelo, comme disent les Espagnols, il ne présente pas de caractéristique nette pour établir sa provenance. Son état de conservation est superbe, il a gardé toute sa fleur et aussi l’éclat de sa teinture. Seule, la cochenille, la graine d’écarlate, comme on disait jadis, pouvait fournir une couleur d’aussi bon teint et ayant droit à cette épithète de cramoisi qui ne servit longtemps qu’à indiquer la force d’un ton. Au XVIIIe siècle, encore, le terme de cramoisi était employé dans le sens augmentatif. « En cramoisi, pour dire tout à fait, entièrement, au suprême, degré, au-delà de ce qu’on peut imaginer. Ce mot est fort à la mode à Paris, et ne vieillira même jamais parce qu’il a une expression très forte. » Ainsi parlait, en 1752, Leroux, auteur du Dictionnaire comique. Quelque soixante-dix ans auparavant le Dictionnaire des rimes entendait par cramoisy, une teinture sans tache. Mais depuis le règne de François Ier, c’était, au moins à partir de 1523, la cochenille d’Amérique qui fournissait l’écarlate. Jusqu’à cette époque, l’industrie du teinturier s’était contentée de notre coccide indigène, le kermès (coccus baphica) que l’on a trop souvent confondu avec l’espèce du chêne vert (coccus ilicis). C’est avec ce coccus baphica, traité par le vinaigre fort, que toute la région circa-méditerranéenne obtenait la belle teinture rouge que les gens de l’Archipel grec s’obstinent encore aujourd’hui à consacrer à la teinture des fez, tout comme ils procédaient du temps de Belon, mais sur une plus grande échelle : « Le revenu de la graine d’écarlate, disait le grand naturaliste voyageur du XVIe siècle, nommée coccus baphica, est moult grand en Crète ; et parce que le cueillir est l’ouvrage des pasteurs et petites marmailles, les plus grands ne s’y veulent amuser… » Cette petite marmaille réalisait cependant des récoltes assez considérables pour que le kermès fût une importante source de revenus. Longtemps le kermès soutint la concurrence de la cochenille américaine, tant la matière première coûtait peu, tant