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Pour le reste, l’arme favorite du Hongrois est le sabre, la palache élargie en spatule à son extrémité, dont la figure, répétée sur les targes et les pavois à section oblique, devient l’emblème même de la Hongrie.

C’est qu’en effet, dans la guerre turque, il s’agit toujours plus du tranchant que de la pointe du glaive. C’est le tranchant du cimeterre qui, à Nicopoli, à Semendria, à Varna, à Mohacz, a fait sa moisson sanglante. Le Musulman est essentiellement coupeur de têtes. C’est avec les têtes tombées sous le sabre que Tamerlan et Gengis-Khan ont édifié les pyramides dont les voyageurs du moyen âge semblent avoir sensiblement exagéré la hauteur. Celle de Delhi en comptait 90 000. Le fanatisme intransigeant des deux races en présence aide à comprendre la rigueur de la mesure. Couper 90 000 têtes en quelques journées est une besogne qui demande des bras exercés, et surtout un acier d’un tranchant impeccable. Bien manier l’arme courbe demande une particulière adresse. C’est pour y atteindre que l’enfant de la Transcaspienne s’assied tout le jour, pendant des mois et des années, au bord du ruisseau pour couper le fil de l’eau avec le damas. Quand il saura dûment séparer la tranche liquide sans en faire sauter les gouttes, seulement alors, il sera jugé digne de sacrifier un mouton. Bientôt il arrivera, d’un seul coup de cimeterre, à couper la bête en deux, par le milieu du corps, et cela malgré la laine. A l’exposition de la Hongrie, entre autres avantages, nous trouvons celui d’étudier l’arme courbe occidentale, qui est encore si mal connue. Quand on pense que le mot sabre, lui-même, n’apparaît dans notre langue que sous le règne de Louis XIV, vers 1676, — on peut s’en convaincre en lisant le Traité des armes, de Gaya, — on est amené à croire que l’objet lui-même n’était pas d’usage en France, et qu’il fut apporté par les fameux houzards hongrois. Il n’en est rien cependant, quoi qu’on ait essayé de nous imposer sur ce sujet. Viollet-le-Duc, en effet, dont l’autorité n’est que trop souvent invoquée, encore qu’il ait traité des armes de main avec la négligence la plus complète, n’a même point fait figurer, dans son Dictionnaire du mobilier français, les mots Badelaire, Cimeterre, Coutelas, Fauchon, et Malchus. Ainsi s’est-il dispensé d’aborder la question si épineuse de toutes les armes à lames asymétriques ou courbes.

Mais, sans m’arrêter sur ce sujet qui mériterait une longue étude, je reviens aux armes de la Hongrie : elles sont