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chenaux disparaissent ; les plaques, tout à l’heure séparées, affrontent de nouveau leurs bords : elles s’écrasent, se chevauchent, se dressent en amas qui persistent ou s’écroulent, et tout ce travail s’accomplit avec des bruits étranges et inquiétans. Le ciel chargé de lourds nuages s’obscurcit, et la neige des nuées mêle ses tourbillons à celle de la banquise.

Tel est le milieu qui s’offre à l’observation du naturaliste. M. Racovitza l’a décrit, non pas seulement avec exactitude, mais avec un talent capable d’en évoquer l’impression chez ses lecteurs et ses auditeurs.


IV

Cette banquise où se trouvent réunis, si souvent, les agens les plus contraires à la vie, le froid et l’obscurité de la longue nuit polaire, on pourrait la croire vouée à la solitude et à la mort. Ce serait une erreur. La vie y fourmille : les animaux et les végétaux y pullulent.

Il faut savoir les observer. C’est d’abord sous la glace qu’il faut les chercher. Nous venons de dire que les chenaux recouverts d’une glace nouvelle, présentaient une teinte d’un brun verdâtre. Ils la doivent à une sorte d’enduit qui s’étale à la face profonde de la plaque glacée, au contact de l’eau. On l’aperçoit par transparence dans les parties minces. Dans les autres parties de la banquise où la glace est plus épaisse, on ne la voit pas immédiatement ; mais elle y existe et il suffit de retourner les plaques, sens dessus dessous, pour en constater l’existence.

Cette matière existe aussi, moins tassée, en suspension, dans la couche d’eau sous-jacente à la glace, et cela, jusqu’à une certaine profondeur. Si l’on promène dans l’eau un filet assez fin, on en ramène toujours une certaine quantité. L’existence de cette couche verte n’est point particulière à la banquise antarctique. Nansen avait observé le même enduit sous la banquise arctique, et le naturaliste de son expédition, Blessing, avait souvent employé les loisirs de sa longue captivité à bord du Fram, à en faire l’examen microscopique.

Le naturaliste qui étudie, à un fort grossissement, une goutte de cette substance, est immédiatement fixé sur sa nature. Il y reconnaît des Diatomées, c’est-à-dire des plantes inférieures, voisines des algues les plus simples. L’enduit en question est une