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calme, grave, cordiale. Dans ce regard et dans cette parole passa une tristesse infinie, lorsqu’il nous parla d’une affreuse bataille de rue qui avait eu lieu, la nuit précédente, presque sous les murs de Toynbee Hall. Je ne sais même pas son nom, mais il reste dans ma mémoire comme l’image vivante de toute une race d’hommes admirables. Il y a cinq ans qu’il vit dans cette maison. Aucun vœu ne le retient ; une demi-heure de cab le sépare de ce monde auquel il appartient par son origine et son éducation. Il peut, s’il lui plaît, dîner ce soir à son club, mais il n’en fera rien. Ses moindres mots révèlent l’état d’âme particulier au reclus et au missionnaire. Il est, en effet, l’un et l’autre. La foule qui l’entoure, si différente de lui, est tantôt un désert où son esprit s’isole pour méditer, tantôt un champ d’action où son dévouement se prodigue, prêchant la civilisation aux pires sauvages que le soleil éclaire. Involontairement, je l’habille d’une robe de bure qui descend en plis droits de ses épaules à ses pieds.

Je ne suis pas le premier qui ait cru voir des moines d’une certaine sorte dans les résidens, jeunes ou vieux, qui peuplent les settlements. Parmi eux, beaucoup s’indignent de la comparaison : quelques-uns en sont presque flattés. L’analogie a frappé, entre autres, sir Walter Besant. Cet esprit charmant, moitié ironique, moitié enthousiaste, qui a raillé les folies humaines, mais n’a pas su se défendre contre certaines illusions, ne s’est point mêlé de sa personne à l’entreprise des colonies sociales de l’East End ; il les a, vaillamment, servies de sa plume, et parler d’elles sans parler de lui serait une omission, presque une injustice. Il a remarqué que les trois vertus du moine, la pureté des mœurs, l’obéissance et, jusqu’à un certain point, la pauvreté, ne sont pas moins nécessaires au résident des settlements modernes. Et comment ne pas rapprocher cette ardeur à la cause de l’éducation populaire, cette soudaine explosion de fraternité et de dévouement de cet autre mouvement d’où sortirent, au moyen âge, les ordres prêcheurs et qui donna naissance aux Universités ?

Je ne veux pas exagérer la valeur de mon impression personnelle. Si j’étais venu visiter les settlements, comme on me le conseillait, par un soir d’hiver, et si je les avais trouvés en pleine activité, même alors, j’aurais pu éprouver cette inquiétude d’esprit dont parle dans un de ses écrits M. Barnett et qui est commune, nous dit-il, à presque tous ceux qui viennent passer une heure dans un settlement. Suivant qu’ils assistent à un concert,