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IV

Les petits groupes amis avec lesquels communiquaient, à travers l’Europe, les adeptes français de l’humanitarisme et de l’internationalisme, dissimulèrent malaisément leur joie. Rappelons-nous l’étrange saillie de Bossak-Hauké au Congrès de Bâle : puisque la guerre ménageait quelques chances pour le brusque avènement de la liberté, Bossak — une fois n’est pas coutume — n’avait point le courage d’être ennemi de la guerre. La doctrine était nette et passait pour sûre : les tyrans engendrent la guerre ; la guerre perpétue les tyrans à moins qu’elle ne les supprime, et la guerre, en les supprimant, se supprime elle-même ; donc la journée de Sedan, pour ces logiciens illuminés, ressemblait à une aurore de paix. Le 5 septembre, en Suisse, le Comité central de la Ligue de la Paix et de la Liberté, condamnant à l’avance tous les prétextes au nom desquels on essaierait peut-être de continuer la guerre, salua cette aurore, blafarde encore de sang. Et le même jour, en Italie, la franc-maçonnerie transalpine, sous des signatures illustres parmi lesquelles on remarquait celles de Cairoli et de Frappoli, écrivait aux frères de France : « L’Empire, qui avait provoqué cette guerre d’extermination, est tombé. La République répudie cette guerre impie… Que l’Allemagne se montre grande et magnanime… Nous vous saluons aujourd’hui de Florence. L’Italie vous tendra bientôt la main de Rome. » Le salut adressé par la maçonnerie italienne à la France vaincue, et la souriante annonce par laquelle il se terminait, ne faisaient, en définitive, que souligner notre défaite ; car n’était-ce point la diplomatie française qui avait, en 1864, obtenu la signature de Victor-Emmanuel en faveur de l’intangibilité de la Rome papale ? Mais la République du Quatre-Septembre inaugurait une France nouvelle ; et le garibaldien Frappoli ne croyait point faire acte d’impertinence ou de désinvolture en annonçant à ses frères de France, quinze jours à l’avance, que le royaume subalpin négligerait les signatures échangées avec l’Empire français.

Il y a des susceptibilités patriotiques dont la plus tendre fraternité maçonnique ne suffit pas à donner l’intuition : avec moins de délicatesse encore que Frappoli, la loge des Amis philanthropes, de Bruxelles, réussit, sans le vouloir, à froisser ces