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aux autres peuples pour une défaite qui l’avait rendue libre. La Ligue de la Paix et de la Liberté aurait volontiers permis qu’on exigeât de la France une grandiose rançon, tant lui semblait grandiose l’évolution commencée à Sedan ! Elle datait de Genève, et du 21 octobre, un manifeste au peuple français. Dans peu d’années la plupart des peuples, stimulés et enflammés par l’exemple de la France, se constitueraient en républiques alliées. Dès lors, continuait le comité de la Ligue, « en face d’un si grand service que vous rendrez à l’Europe ou plutôt au monde entier, dont vous retirerez vous-mêmes les principaux avantages et qui fera votre propre bonheur, que sont le paiement d’un ou deux milliards pour frais de guerre, le démantèlement de quelques forteresses, et même, en cas d’extrême nécessité, quelques autres sacrifices compatibles avec votre honneur ? Ce serait un modique prix pour la liberté que vous auriez conquise par cette guerre, et pour la certitude de devenir, grâce à la République, un grand peuple instruit, moral, et matériellement heureux. » Et les signataires du manifeste, — sur cinq, un seul était Français, — traçaient à notre patrie sa politique future : le fédéralisme communal, et l’instruction laïque, et la séparation des Eglises et de l’État, et le régime de la coopération aux lieu et place du salariat, et des milices aux lieu et place des armées. Avant tout, ils nous invitaient à « rejeter le chauvinisme » et à prouver que « le bonheur de l’homme, la gloire et la grandeur d’une nation ne consistent pas dans la possession d’un territoire étendu et d’une grande puissance militaire, mais bien plutôt dans l’indépendance et la liberté personnelle, dans l’instruction et le bien-être de chaque citoyen. » La récompense finale, enfin, qu’ils nous daignaient promettre, c’était « l’entrée de la France, comme un des membres les plus dignes, dans la confédération libre des Etats-Unis d’Europe. »


V

Etait-ce la France, ou l’Empire, qui avait la responsabilité de la guerre ? Sedan était-il une défaite de la France, ou une défaite de l’Empire ? Volontiers on en discutait ; en certaines sphères, on s’adonnait au jeu périlleux qui consistait à distinguer entre la France d’hier et l’Empire français ; on osait comprendre cette strophe malfaisante, écrite par Hugo le 31 août 1870 :