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la démocratie française et la démocratie italienne, et qui fut l’Empire, » et puis il concluait : « Lorsque, républicains français, italiens, espagnols, nous aurons vaincu l’ennemi commun, nous aurons jeté les fondemens de cette grande fédération à laquelle viendront s’associer nos frères les démocrates allemands, et qui formera bientôt les Etats-Unis d’Europe. » Gambetta laissa Rivière et Garibaldi larmoyer sur la République universelle ; il s’enferma, lui, et travailla pour la patrie.

Les préfets qu’il avait nommés en province, ou les ardens républicains qui s’étaient eux-mêmes installés, brûlaient de venger sur les généraux de l’Empire la capitulation de Bazaine : Gambetta sut comprendre qu’en présence de l’ennemi, rien ne pouvait être plus déplacé que des taquineries d’opposition politique. « Je vous en conjure, écrivait-il à Esquiros à Marseille : réfléchissez que la politique du gouvernement, c’est la défense nationale, et uniquement la défense. » Le frère d’Eugène Spuller eût voulu, comme préfet de la Haute-Marne, faire peser une certaine hégémonie sur l’autorité militaire ; Gambetta chargea Spuller de calmer ce zèle préfectoral. « Quelques têtes chaudes, télégraphiait-il au gouvernement de Paris, voudraient Garibaldi à la tête de toutes nos forces dans l’Est ; mais je lui maintiens avec énergie son caractère de chef de volontaires. » Nul acte, surtout, ne fut plus décisif que sa proclamation du 1er novembre, qui témoignait à l’armée, hier encore servante de l’Empire, qu’elle avait été trahie, mais non déshonorée, par Bazaine : sa préoccupation, ce jour-là, fut de séparer la cause de l’armée française et celle du maréchal, et de prévenir ainsi les confusions que les adversaires acharnés du militarisme auraient voulu perpétuer.

D’ailleurs, l’expérience aidant, les plus chaudes têtes du jeune parti commençaient à branler, sceptiques, en présence des arméniens improvisés et des hiérarchies improvisées. C’est Duportal lui-même qui, le 19 janvier 1871, devait télégraphier à Gambetta : « Ce qui manque le plus dans l’organisation du camp de Toulouse, c’est l’usage des traditions militaires. » Ni le zèle de Duportal et de ses créatures, ni l’active vigilance de Georges Périn et de M. Lissagaray, que Gambetta avait adjoints comme commissaires à cette armée du Sud-Ouest, ne suffisaient à remplacer la vertu de ces traditions militaires que sous l’Empire l’opposition persiflait : Duportal lui-même se laissait aller à l’expression d’un aveu ! « C’est la tradition de la République d’armer les jeunes chefs ; nous en