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bienheureuse ville, pour comprendre la vie, la mort, le monde, l’histoire, l’Église et l’avenir[1]. »

Cette ville idéale, qu’en pensée ou en rêve il habitait toujours, il l’a quelquefois réellement habitée. Il en trouva d’abord une réduction dans la communauté réunie à Strasbourg autour de l’abbé Bautain et d’une vieille et sainte femme que la petite église appelait sa mère. Le P. Gratry fut pendant onze années l’hôte de ce cénacle. Il le quitta pour entrer comme postulant chez les Rédemptoristes du Bischenberg, dans les Vosges ; mais la révolution de 1830 les dispersa. Bientôt, professeur à Strasbourg, puis directeur de Stanislas, il fut enfin nommé aumônier de l’École normale[2]. Ainsi, diverse par les fonctions ou les devoirs, mais toujours associée à d’autres, sa vie, parmi ses compagnons ou ses élèves, était toujours celle qu’il a définie en un mot : « La vie rassemblée. »

C’est pour assurer à cette vie un asile qu’avec un groupe élu de disciples il entreprit le rétablissement de l’Oratoire. Il le rétablit selon l’idéal ancien, celui que Bossuet a défini quand il a parlé de « ce dessein de société sacerdotale, qui ne doit avoir d’autre esprit que l’esprit de l’Église, ni d’autres règles que ses canons, ni d’autres supérieurs que ses évêques, ni d’autres liens que la charité, ni d’autres vœux que ceux du sacerdoce et du baptême[3]. » Comme, au xviie siècle, le cardinal de Bérulle, le P. Gratry et ses compagnons, au xixe siècle, ne se proposèrent que d’organiser une existence commune, toute de prière et de travail, entre prêtres séculiers. Pour un esprit aussi largement social que celui du P. Gratry, la largeur de ce principe d’association en faisait justement la beauté. Il aima l’heureux accord, pour une tâche commune, du consentement unanime et de la liberté, du mouvement propre avec la volonté de tous. S’il préféra la société oratorienne à toute autre, c’est parce que, plus que toute autre, elle se rapproche de l’Église, ce type de l’universelle société[4]. Alors, a-t-il écrit, se rappelant les jours de l’Oratoire, « alors se déroulèrent quelques années de vrai bon-

  1. Souvenirs de jeunesse.
  2. Le Directeur de l’École normale était alors M. Vacherot, avec qui le P. Gratry devait avoir un jour une polémique dont on trouvera les dernières traces dans la Revue du 1er mars 1869.
  3. Oraison funèbre du P. Bourgouing, supérieur de l’Oratoire.
  4. Voyez le bel ouvrage du cardinal Perraud : l’Oratoire de France au xviie et au xixe siècles. Chez Douniol (Téqui, successeur).