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à celui du siècle passé, » il est bien aventuré d’affirmer qu’un art nouveau s’établit à l’insu de tout le monde et que, par exemple, le style rocaille se soit créé au XVIIIe siècle, sans que personne s’en soit aperçu.

Seulement à quels signes le reconnaîtrons-nous ? Suffira-t-il qu’il y ait quelque changement dans les formes des meubles et qu’on s’en aperçoive, pour qu’il y ait un style ? Ou ne faut-il pas que ces formes, qui tranchent assez sur les anciennes pour n’être pas des pastiches, soient assez parfaites pour trancher aussi sur celles de l’avenir et se maintenir ou se restaurer en dépit des révolutions de la mode et du goût ? Ne faut-il pas, de toute nécessité, non seulement quelque chose de neuf, mais quelque chose de fort ? Si l’on ne réalise pas quelque chose de neuf, il n’y a pas de style « moderne. » Mais, si l’on ne réalise pas quelque chose de fort, on ne fait pas de « style » du tout. Et il faut précisément que les deux qualités se réunissent au même endroit de l’objet, car, s’il arrivait qu’une partie de l’objet fût neuve et faible et qu’une autre fût forte, mais déjà connue, ce qu’on aurait ainsi réalisé n’ayant de vie que par ce qu’il a d’ancien, et n’ayant de neuf que ce qu’il a de mort, perdrait toute valeur comme indication d’un style nouveau.

Tout d’abord nous remarquerons que le premier caractère commun aux décorateurs modernes, c’est l’intention philosophique ou littéraire, qu’ils mettent dans leurs thèmes décoratifs. Ils prennent une plante comme motif principal de leurs décorations et, des aspects de cette plante, ils font tout un meuble et parfois tout un salon. D’une courge ils font sortir une bibliothèque, d’un chardon un bureau, d’un nénuphar, une salle de bal. Jamais la logique d’un décor naturel ne fut serrée de si près. Un bahut est une synthèse ; un gland de rideau, une analyse ; une pincette, un symbole. Après cela, un salon, ou un fumoir, ne peut être qu’un poème, et il l’est en effet. A l’esplanade des Invalides, dans la section allemande qui avoisine les vieux canons, vous trouverez une hutte dans la forêt des fées qui n’est autre que le développement immobilier et mobilier de la Légende des sept corbeaux. Sous la voûte en terre cuite et les lambris de sapin venus de la montagne, règne la lumière bleuâtre des clairs de lune. La cheminée en fer forgé rappelle des formes forestières ; — un vitrail fait apparaître la forêt allégorique où le drame se poursuit. Sur les chapiteaux, les corbeaux s’envolent.