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beaucoup d’autres que l’on pourrait citer, c’est, — quand on songe à leur date, — la décision et, par suite, la lucidité de la pensée. Calvin est maître de son style. Il sait toujours ce qu’il veut dire et il le dit toujours. Autant ou plus que d’un écrivain sa manière est d’un homme d’action. On ne saurait donner moins à l’agrément ou au charme, et c’est sans doute la nudité, mais c’est aussi la gravité du temple protestant. Nous Talions mieux voir encore dans son Institution chrétienne, qui est, à tous ces titres, un des grands livres de la prose française, et le premier en date dont on puisse dire que les proportions, l’ordonnance, l’architecture ont vraiment quelque chose de monumental.


IV

II le doit à ce qu’il est le premier, — non seulement en France, mais en Europe, — où la dogmatique protestante, morcelée jusqu’alors, et comme éparse dans les sermons de Luther, et dans les traités de Zwingle ou de Mélanchthon, ait pris la consistance doctrinale et la figure extérieure d’un système lié en toutes ses parties. Mais, si Calvin, sans aucun doute, a bien voulu que son livre fût cela, ce n’en est pourtant pas l’origine ou la première occasion. En 1535, son ambition n’était pas si grande, ou du moins elle était autre ; et il s’agissait avant tout de défendre les réformés de France contre les imputations ou accusations politiques dont ils étaient l’objet. En effet, pour s’excuser aux yeux des princes protestans d’Allemagne, dont il avait besoin dans la lutte qu’il soutenait contre Charles-Quint, et, qui sait ? pour se justifier peut-être à ses propres yeux de l’atrocité de ses persécutions, François Ier avait accusé les réformés de France de ne tendre en réalité, sous prétexte de religion, qu’au renversement de l’Etat et de la société. Les désordres des anabaptistes, assiégés dans Munster, à ce moment même, par le landgrave de liesse, l’un des chefs de la Réforme, donnaient à l’imputation quelque apparence de vérité. C’est ce que comprit admirablement le génie politique de Calvin. On ne désespérait pas encore d’entraîner François Ier dans le parti de la Réforme. Pour y réussir, Calvin vit qu’avant tout, si l’on accusait les réformés « de ne chercher autre chose qu’occasion de sédition et toute impunité de mal faire, » c’était le reproche qu’il fallait écarter à tout prix. Il se rendit compte que, pour l’écarter, il y fallait quelque chose de plus