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dans la Réforme un principe ou une promesse de liberté. Le terrible homme ne recula pas d’un pas. La contradiction exaspéra son orgueil, et son intolérance naturelle dégénéra en cruauté. Qu’est-il besoin de rappeler ici ses victimes, depuis Castalion, exilé de Genève et réduit à mourir de misère, pour avoir voulu retrancher le Cantique des Cantiques du canon des Écritures, jusqu’à Michel Servet ? « Tous pensaient alors, a-t-on dit, que l’erreur est criminelle, et que la force doit son appui à la vérité. » Non ! — et l’histoire de la littérature est là pour nous le prouver, — tous ne le pensaient pas ! Les « gens de lettres, » un Erasme ou un Rabelais, un Marot, une reine de Navarre, n’avaient même écrit que pour enseigner le contraire. Mais quelle contradiction n’était-ce pas, que de s’être détaché du centre de l’unité chrétienne, pour s’attribuer le droit de punir par le glaive l’hérétique ou le rebelle qui s’écarterait des principes de la théologie calvinienne ! On feignit de ne pas s’en apercevoir, ou, peut-être, ne le vit-on pas. Le jour du supplice de l’Espagnol fut celui du triomphe de Calvin ; Genève en conçut comme une espèce d’orgueil d’avoir désormais fondé son orthodoxie dans le sang ; et comment ne l’eût-elle pas conçu, si l’on peut dire avec vérité qu’à chacune des exécutions ordonnées par le réformateur, bien loin que l’opinion, s’en indignât, ou seulement s’en émût, répondait au contraire un accroissement d’autorité de l’Église de Genève et de Calvin lui-même ?

On le voit bien dans la, collection de ses Lettres françaises. D’année en année, mais surtout à partir de 1545, et grâce à cette croissante autorité de Calvin, on voit l’Église de Genève enfanter des Églises nouvelles, et celles qu’elle n’a pas enfantées, les soutenir de ses exemples, les diriger de ses conseils, les fortifier de ses consolations. De Paris, de Poitiers, de Dieppe, de Loudun, de Montpellier, de Nîmes, de Chambéry, de Lausanne, de Neuchâtel, d’Ecosse et d’Angleterre, de Francfort, du fond de l’Allemagne ou de la Pologne, c’est à Calvin que l’on s’adresse ; et, rois ou « protecteurs, » princes ou capitaines, politiques et pasteurs, c’est lui qui les gourmande, les condamne et les excommunie. « Seigneur Augustin, — écrit-il à l’un des anciens de l’Église de Francfort, — je suis fort marry, pour l’amour que je vous porte, d’ouïr de si fâcheuses nouvelles de vous, et encore plus d’être contraint vous écrire plus rudement que je ne voudrais. » C’est ainsi qu’il fulmine, comme investi d’une Papauté