Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/941

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
REVUE LITTÉRAIRE

TROIS POÈTES

Tandis que la condition de l’homme de lettres s’est, au cours de ce siècle, si profondément modifiée, la destinée des poètes eux seuls n’a pas changé, ou peut-être est-elle devenue plus dure. Le mouvement qui se fait sous nos yeux consiste à assimiler de plus en plus le métier d’écrivain à l’exercice d’une industrie quelconque. Mêmes procédés de réclame, même désir d’atteindre la foule en lui offrant à meilleur marché des produits de qualité inférieure, même certitude de réaliser de beaux bénéfices pour tout fabricant qui a du flair, de la hardiesse et de la persévérance. L’écrivain vit de sa plume ; on ne saurait le lui reprocher ; mais il faut pourtant bien constater que le poète n’en vit pas. Il n’existe pas encore de poésie alimentaire. Rimer n’a pas cessé d’être une occupation de surcroît et un exercice de luxe. Le poète demande son pain quotidien à quelque emploi généralement peu rétribué, ou encore à des écrits en prose. Sa besogne accomplie, il peut appartenir à son rêve d’art, et prendre les vers à la pipée en flânant par les champs ou par les rues. Mal payé en argent, il ne l’est guère mieux en renommée. Ses œuvres ne sont pas de celles autour desquelles s’organise le tapage des journaux, et plus se perfectionne le système de lancement des livres, moins les volumes de vers ont de chances de faire leur trouée. On les tire à petit nombre, on les écoule avec peine, on ne les réimprime guère. À moins de s’être mêlé de politique ou d’avoir travaillé pour le théâtre, un poète est assuré que son nom n’arrivera pas jusqu’à la foule ; mais d’autre part le public des