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délicatement « les vers de quelques damoiselles, » — Pernette du Guillet, je pense, Claudine Scève ou Louise Labé, — il disait :


Au moins par tels exemples seront contraints les sévères censeurs, ennemis de notre vulgaire, de rougir et de confesser… que l’esprit logé en délicat corps féminin, et la langue françoise sont plus capables des doctrines abstruses que leurs grosses têtes coiffées de stupidité, et, quant aux langages, que le nôtre peut être haussé en tel degré d’éloquence que ni les Grecs ni les Latins auront à penser qu’il leur demeure derrière. (Solitaire Premier, édition de 1587, p. 32.)


Et qui ne connaît l’éloquente invective de Ronsard ?


C’est un crime de lèze-majesté d’abandonner le langage de son pays, vivant et florissant, pour vouloir déterrer je ne sais quelle cendre des anciens… Comment veux-tu qu’on te lise, latineur, quand à peine lit-on Stace, Lucain, Sénèque, Silius et Claudien qui ne servent que d’ombre muette en une étude ; auxquels on ne parle jamais que deux ou trois fois en sa vie, encore qu’ils fussent grands maîtres en leur langue maternelle ? Et tu veux qu’on te lise, qui as appris en l’école, à coup de verges, le langage étranger que sans peine et naturellement ces grands parlaient à leurs valets, nourrices et chambrières ! (Seconde Préface sur la Franciade.)


On ne saurait plaider plus éloquemment la cause de la langue maternelle. Malheureusement, c’était ici qu’apparaissait la contradiction et, pour ainsi parler, dans le passage même de la « défense » à « l’illustration » de la langue. Car on proposait bien divers moyens de l’amplifier ou de la magnifier, tels que « d’usurper quelquefois des vocables non vulgaires ; » et d’ « inventer de nouveaux mots ; » et d’en rajeunir d’antiques, « pour les enchâsser en son poème, ainsi qu’une pierre précieuse et rare ; » mais ce n’étaient là que de petits moyens, des moyens de peu de portée, sur la valeur desquels ni Du Bellay, ni Ronsard, à en juger du moins par leurs vers, ne se faisaient d’illusion. Archaïsmes, néologismes, provincialismes, on a dressé le total de leurs « inventions » en ce genre, et il ne dépasse pas, si seulement il atteint ce qu’on en trouverait dans Rabelais[1]. Un conseil plus utile était celui que Du Bellay donnait en ces termes, et surtout un enseignement plus, fécond :


Encores te veux-je avertir de hanter quelquefois non seulement les sçavans, mais aussi toutes sortes d’ouvriers et gens mécaniques, comme mariniers, fondeurs, peintres, engraveurs et autres, sçavoir leurs inventions, les

  1. Cf. Marty-Laveaux : La langue de la Pléiade, 2 vol. in-8o. Paris, 1896-1898. A. Lemerre.