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des richesses métalliques de l’Europe. Bijoux, lingots, successions en numéraire, étaient déposés dans l’enceinte- du Temple à Paris, et y servaient de gages à des emprunts. Après la fin tragique du grand maître Jacques Molay et la destruction de l’ordre ; des chevaliers du Temple, le commerce individuel des israélites ne connut en France aucune rivalité.

Lors des bannissemens plus ou moins rigoureux du juif, le peuple, qui applaudissait à son expulsion, ne tardait pas à le regretter ; soit que l’usurier chrétien qui le remplaçait se montrât plus dur que son devancier, soit simplement que le public payât, on définitive, les frais de toute atteinte portée au crédit. Quant aux princes, obligés, par leur besoin constant des hommes d’argent, de vivre avec eux en bonne intelligence, ils revenaient bien vite au système qui consistait à les mettre en coupe réglée, à les tondre et à les saigner, au lieu de les écorcher et de les pendre.

C’était une chose fructueuse et bonne à exploiter que le juif ! Chaque potentat de la chrétienté cherchait à en attirer le plus possible et s’annexait les juifs du voisin, même à prix d’or. Puis, après maintes caresses et mille privilèges, après les avoir aidés de son mieux, en mettant au service de leur commerce le bras séculier et les foudres ecclésiastiques, le gouvernement tout à coup se retournait contre eux ; il condamnait à l’exil perpétuel la tribu hébraïque : et la « juiverie » de chaque cité, — l’Aljama, disait-on dans le Midi, — hommes, femmes, enfans et bagages, déguerpissait tristement, par terre ou par eau, à la recherche d’un lieu plus hospitalier. Non sans espoir de retour : rançonnant, rançonnés, ces financiers de l’âge héroïque ne se faisaient pas trop tirer l’oreille pour racheter en masse les impôts spéciaux qui pleuvaient sur eux, quittes à se récupérer à leur tour sur la clientèle. Le pouvoir, avec lequel ils pactisaient de nouveau, arrêtait ou paralysait lui-même les lois qu’il venait d’édicter.

A l’époque de la Renaissance, les juifs furent atteints d’une autre manière, beaucoup plus sûrement : par la concurrence ouverte des chrétiens. Les principes de la scolastique se relâchèrent, et le commerce des métaux précieux s’élargit. Les souverains n’auront plus recours normalement, « pour se procurer quelque finance, » à des procédés qui vaudraient aujourd’hui un conseil judiciaire au fils de famille qui les emploierait. Ils n’achèteront plus, par exemple, comme le Duc de Bourgogne en 1410, des