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On ne pouvait choisir ni son endroit, ni son jour. Mais le besoin de montrer ce que peut l’initiative particulière, les services que nous attendions de cette communauté, nous tirent risquer notre tranquillité. On se groupa donc dans les vignes de Montreuil, au bois de Vincennes, dans les clairières, et là, assis en rond, les femmes est les enfans autour, en vedettes, on discutait le règlement, on votait les articles, on nommait les fonctionnaires, puis on enterrait les bulletins. Joyeux de la besogne faite, chaque assemblée dans les champs ou dans les bois se terminait par un banquet modeste, mais qui nous procurait les jouissances qu’on goûte aux momens d’enthousiasme. »

Ainsi fut inauguré en France le crédit mutuel, sous le nom de « Banque de solidarité commerciale, » par neuf adhérens qui se cotisèrent pour la première fois le 2 juin 1867. Comment et pourquoi l’élan fut-il arrêté ? Cette association prospéra d’abord ; 200 similaires furent fondées à son exemple ; mais, déviant de leur principe originel et brûlant les étapes inévitables de toute innovation, au lieu de développer le crédit, ce fut la production coopérative qu’elles prétendirent du premier coup aborder. Les ouvriers, disait plus tard l’un d’eux, « ont mal compris leur affaire ; ils ont cru que le travail était tout et ont complètement oublié le capital. »

En 1863, le mouvement de l’Allemagne commence à être connu ; on cherche à le suivre : « Il faut, écrivait G.-P. Beluze, faire pour les travailleurs ce qu’on a déjà fait pour les propriétaires, avec le crédit foncier et le crédit mobilier. » Là-dessus, fut fondée une « Société de Crédit au Travail, » avec 400 francs d’espèces versées. Elle progressa rapidement ; trois ans après, en 1866, le nombre des sociétaires était de 1 200 et le capital souscrit de 200 000 francs. L’établissement, qui faisait déjà 10 millions d’affaires, périt cependant d’une façon misérable, parce qu’il s’était engagé dans la voie périlleuse des avances aux associations ouvrières. Il avait commencé par de faibles prêts ; puis, les sociétés débitrices périclitant, pour ne pas perdre ses premiers sacrifices, il en consentit de nouveaux, et finit par avoir à sa charge deux entreprises où il était à découvert de 300 000 francs. Dès lors, incapable de marcher faute d’argent, il dut confesser la vérité à ses commanditaires. La consternation fut générale ; on voulut poser de nouvelles règles, revenir à la sagesse, mais trop tard. La confiance était perdue ; il ne se trouva plus de souscripteurs