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Chez nous, les premières manifestations sérieuses du crédit coopératif ne remontent pas au-delà d’une quinzaine d’années ; c’est même seulement depuis sept à huit ans que, sous l’effort parallèle ou combiné d’une élite d’apôtres du progrès social, parmi lesquels se rencontrent des gens de foules professions et de toutes croyances, l’entreprise est parvenue à vaincre les difficultés du début. Tous les essais n’ont pas également réussi ; dans le commerce de l’argent, il suffit de l’imprudence d’un jour pour faire évanouir le fruit de nombreuses années de travail.

Fonder sans capital des banques populaires, où les frais généraux dépassent pendant longtemps les bénéfices, paraît déjà assez malaisé ; mais la plus grosse difficulté est de trouver de bons directeurs. Le Crédit mutuel, débutant à Paris, rue de Valois, en 1882, après avoir duré douze ans et groupé de petits patrons à qui il escomptait 2 millions de francs d’effets, se vit forcé ; de liquider, parce que son président avait abusé de l’autorité qui lui était dévolue pour passer à l’établissement du papier de complaisance revenu impayé. Au contraire, la Banque coopérative de Menton a, depuis 1883, enfanté dans sa région le crédit agricole et voit le total de ses écritures atteindre aujourd’hui 69 millions de francs, parce qu’elle est conduite avec sagacité par M. Rayneri, l’un des chefs de ce mouvement contemporain.

De même la Société de Crédit mutuel de Poligny a pu, depuis 1884, avancer 3 millions de francs aux agriculteurs de son entourage. Ces initiatives essaimèrent autour d’elles lentement. En 1889, l’on ne comptait pas plus d’une vingtaine d’associations analogues. À cette époque se réunit à Marseille, sous la présidence d’un économiste dévoué à la doctrine coopérative, M. Eugène Rostand, un congrès dont l’influence fut décisive. Les hommes s’y unirent et les idées s’y dégagèrent.

Les résultats se chiffrent, à l’heure actuelle, par l’existence d’environ 700 associations de crédit populaire, urbain ou rural. Les premières sont au nombre d’une trentaine seulement, dont les six plus importantes disposent d’un million de capital, versé par 2 300 associés. Parmi les sociétés agricoles, dont l’effectif est vingt fois plus fort, 388 ont fourni quelques détails sur leur fonctionnement : elles se composent de 16 000 membres et ont prêté, en 1899, 5 millions et demi de francs.

Pécuniairement, le progrès peut sembler mince ; moralement, il est considérable. Des cadres sont dressés, les esprits s’ouvrent