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d’accomplir : le propre des actes politiques est sans doute, à ses yeux, de comprendre beaucoup d’alliage impur. Le Sénat s’est résigné : il a voté tout ce qu’on a voulu. L’argument qui a le plus porté sur lui est que, si la loi était amendée, elle retournerait à la Chambre et que, quand elle en reviendrait, elle serait pire encore : on aurait vidé complètement les prisons pour refaire des électeurs.

Cet élargissement de l’amnistie, poussé jusqu’aux limites que nous venons d’indiquer, a rendu encore plus choquante l’exclusion, obstinément maintenue, d’un certain nombre de condamnés, coupables si l’on veut, mais aussi dignes d’indulgence que quelques-uns de ceux auxquels on venait d’en prodiguer tant. Nous ne parlerons que pour mémoire des Assomptionnistes, ces dangereux criminels qui ont été condamnés à 16 francs d’amende. Bien entendu, les délits d’association figuraient dans l’amnistie : on a failli oublier, mais on s’est souvenu, en temps opportun, que les Assomptionnistes s’en étaient rendus coupables. Exclus de l’amnistie, les membres des associations religieuses ! Le trait ne serait qu’amusant, s’il ne dénotait pas, une fois de plus, à quel point de mesquinerie peut atteindre la préoccupation antireligieuse dans notre monde politique. Qu’importait que les Assomptionnistes fussent compris pôle-môle dans une amnistie qui comprenait tant de choses et tant de gens ? Personne n’y aurait fait attention. Il n’en était pas tout à fait de même des condamnés de la Haute Cour ; leur amnistie n’aurait pas été inaperçue ; mais elle aurait été généralement approuvée, et aurait fait passer le reste de la loi aux yeux de ceux qui, n’ayant d’ailleurs aucune tendresse particulière pour les condamnés dont il s’agit, ont gardé à leur égard le sentiment de ce qu’on peut appeler la justice proportionnelle, et les trouvent, en vérité, moins odieux que certains de ceux dont M. le garde des Sceaux a présenté si ingénument la défense. L’amnistie aurait pris un caractère de généralité qui aurait servi d’excuse à certaines de ses applications : elle aurait pu, dès lors, produire cet effet d’apaisement que tous les bons citoyens doivent désirer. Les deux Chambres, livrées à leur propre inclination, l’auraient votée pleine et entière. Dans l’une comme dans l’autre, la majorité qui s’est prononcée contre a été relativement faible : elle a été due à l’insistance du ministère qui a posé la question de confiance et déclaré la défense républicaine gravement compromise, si les quatre ou cinq condamnés de la Haute Cour rentraient en France.

Mais il ne s’agit, au fond, que de M. Déroulède ; les autres ne comptent pas ; et n’est-ce pas faire beaucoup d’honneur à M.