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LE FANTÔME.

et de ses marbres, que pour des incidens qui la concernaient ou qui concernaient cette mère. Elle ne s’en était pas étonnée : d’abord les choses avaient toujours été ainsi, et puis, elle avait trouvé, quand elle avait commencé à réfléchir, une explication très naturelle à cette affection. D’Andiguier n’avait plus, pour ainsi parler, de famille. Il ne lui restait que des parens éloignés, avec lesquels il n’entretenait que de très rares relations. Il avait été le compagnon et l’ami de jeunesse, — Éveline le croyait du moins, — de son grand-père Montéran. Il avait reporté cette amitié sur Mme Duvernay, puis sur sa fille. Celle-ci n’avait jamais associé l’idée de l’amour à l’image de cet homme qu’elle avait connu plus que quadragénaire, avec des cheveux gris et une physionomie plus vieille que son âge. Elle ne soupçonnait pas les racines profondes de ce sentiment épanoui en si magnifiques fleurs d’âme, ni de quelle rosée de larmes secrètes ces fleurs avaient été nourries. Mais on n’a besoin de connaître ni les causes, ni la nature d’un sentiment pour en connaître la force et la vivacité, ni pour deviner devant certaines tristesses qu’elles doivent tenir à la portion la plus vivante d’un cœur. Cette portion la plus vivante chez d’Andiguier, — Éveline l’avait trop éprouvé pour en douter, — c’était le souvenir de l’amie disparue qu’elle lui représentait. En présence du chagrin dont elle le voyait soudain consumé, elle devait nécessairement penser : — Je ne l’ai jamais vu ainsi depuis la mort de ma mère… — Ce fut au sortir de la conversation où il lui avait répondu en expliquant son changement par une reprise d’anciennes névralgies, qu’Éveline se résuma ainsi pour elle-même une impression, toute voisine de cette autre : — Il ne serait pas autrement s’il s’agissait de ma mère… — Pour la première fois, l’hypothèse que sa chère morte pût être, d’une façon d’ailleurs incompréhensible, mêlée au mystère dans lequel elle se débattait, venait de lui apparaître, si vaguement, si confusément ?

Une remarque singulière précisa tout d’un coup un peu cette incertaine et informe imagination. Elle était rentrée de sa promenade le soir même du jour où elle avait ainsi causé avec d’Andiguier, comme d’habitude, vers les six heures, et, comme d’habitude, après avoir changé sa tenue de ville pour une toilette d’intérieur, elle s’était dirigée, pour se reposer, vers son petit salon. En ouvrant la porte, elle vit que Malclerc l’y avait précédée. Il était debout, et tenait à la main une photographie