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la place de plus en plus considérable que prennent au dehors les maisons allemandes : jusque dans les Indes orientales, jusque dans les ports de Chine, où ne se voyaient guère auparavant que des commerçans anglais, ces derniers cèdent peu à peu la place à des Allemands, auxquels se joignent des Suisses et des Belges. Sous l’influence de cette poussée redoutable, les Anglais, ou du moins certains d’entre eux, perdent la foi inébranlable qu’ils avaient conservée jusqu’ici dans les principes du libre-échange. Partout où le pavillon du Royaume-Uni, l’Union Jack, apparaissait, il apportait dans ses plis le principe de la « porte ouverte, » que la Grande-Bretagne réclamait pour elle, dans les territoires étrangers, après l’avoir proclamé bien haut là où elle établissait son autorité, se jugeant sûre de garder toujours la même avance sur les autres nations. Aujourd’hui elle se sent menacée : de là ces projets tout nouveaux d’union douanière entre la métropole et ses colonies, dont le programme a été tracé en 1897, dans un discours du « premier » canadien, sir Wilfrid Laurier, qui vient de remporter un éclatant succès aux récentes élections et d’être maintenu au pouvoir pour une nouvelle période ; de là ces germes d’idées protectionnistes, qu’on ne peut interpréter que comme l’aveu d’un sentiment de faiblesse ou tout au moins d’inquiétude. La guerre sud-africaine, loin de changer ce courant, parait devoir l’accentuer. Les Anglais se rendent compte qu’il ne suffit pas de conquérir pour s’assurer le commerce du pays conquis. Ils s’émeuvent de la concurrence américaine et allemande. Déjà le consul général des Etats-Unis à Capetown engage ses compatriotes à établir une ligne directe de vapeurs entre ce port et New-York, de façon à faciliter l’écoulement de leurs marchandises dans ce Rand, auquel l’Amérique a fourni tant d’ingénieurs et non des moindres. Quant à l’Allemagne, dont les exportations au Transvaal, dans l’Orange et dans les colonies anglaises de l’Afrique australe avaient passé de 8 à 36 millions de francs dans les cinq années 1891-1896, elle a déjà pris les devans et organise des services maritimes qui transportent les marchandises, à bon marché et dans des conditions de grande sécurité, des principales villes d’Allemagne aux ports africains, d’où les chemins de fer néerlandais, en vertu d’arrangemens intervenus, les réexpédient aussitôt à l’intérieur. Un phénomène analogue se produit dans d’autres possessions britanniques.

L’opinion insulaire note ces symptômes avec un souci dont