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attardé au charme, si grand pour lui, de la recherche, jusqu’à se fatiguer d’un ouvrage avant de l’entreprendre. Mais cet ouvrage, il le veut parfait, et pour cela, rien ne doit être livré au hasard. Il faut que l’artiste aime assez son sujet pour ne pas regarder à la peine et quand il l’aime, il n’y a pas à craindre qu’il s’en lasse. « L’amour, dit-il, est à proportion de la connaissance » Mais si la composition doit prévoir et installer, dans ses grandes lignes et son effet essentiel, l’ordonnance générale et les principales masses, si elle doit être claire et expressive, il faut par-dessus tout éviter qu’elle soif froide et banale. La science a pour objet de fortifier le sentiment, non de l’étouffer. « En esquissant ta composition, procède vivement et ne finis pas trop le dessin des membres : qu’il le suffise d’indiquer leur place ; tu pourras plus tard les finir à loisir et à ton gré. »

La composition étant arrêtée dans son ensemble, il y a lieu d’en étudier séparément les détails, en subordonnant leur choix et leur exécution à l’unité de l’œuvre et à l’impression qu’elle doit produire. Pour Léonard, la nature est toujours la seule source où il puise pour ces études. Mais la nature est indifférente, et elle ouvre indistinctement à tous le trésor infini de ses richesses, laissant à chacun le soin d’y chercher et d’en exprimer les traits qui répondent le mieux à son dessein. Autant le maître est scrupuleux d’exactitude quand il ne s’agit pour lui que de la copier pour s’instruire, autant il recommande de conserver vis-à-vis d’elle une entière indépendance lorsqu’on la consulte en vue d’une œuvre projetée, les indications qu’elle fournit devant, avant tout, se plier aux convenances du sujet. Il y a là pour l’artiste des difficultés d’un ordre supérieur, car celui qui en face de son modèle « n’est capable que d’en faire le portrait le plus ressemblant est aussi le plus insuffisant, s’il s’agit de composer un tableau d’histoire, » où ce qu’il convient ; surtout de représenter dans une figure « ce sont les pensées de son âme. »

À aucun moment, au surplus, le peintre vraiment digne de ce nom ne peut se détacher de son œuvre, et son intelligence sans cesse en éveil doit rester tout entière appliquée à sa tâche. Mais si grande que soif la tension de son esprit, il ne faut pas qu’elle demeure visible. C’est, d’ailleurs, le propre de la jeunesse de croire que dans une composition on ne saurait trop multiplier les intentions et les détails. Après l’Adoration des Mages, Léonard, en abordant des sujets plus simples, tels que la Vierge aux Rochers,