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ni l’Indépendance ne l’ont pu entamer. Le rêve fixé dans la pierre par le premier Heredia demeure intact encore ; le nid, solide et défiant les siècles, paraît attendre ses hôtes, comme si les gerfauts, partis pour une longue expédition, faisaient seulement durer leur absence quelques années de plus.

On sait que Cartagena d’Espagne fut fondée par Hasdrubal comme boulevard avancé des campagnes futures et de l’ambition puniques. Ainsi la nommait-il pour rappeler, devant l’azur gaditain, parmi les émois des camps, les murs de l’antique Byrsa, les Aqueducs et Khamon et la Voit ; des Tombeaux, les Mappales, chères aux Riches, Malqua où l’on cuisait les cercueils d’argile. Les soldats qui s’en vinrent, sous le Desnarigado, vers cette Amérique merveilleuse, se souvenaient, en plantant leur nouvelle patrie, des orangers qui fleurissent sous le ciel de Murcie et de la mer Baléare, bleue un peu à la façon de celle-ci… ; et une autre Carthagène, née par enchantement du saphir des Antilles, prolongea jusqu’ici la pensée tyrienne. Et quand les fils de cette troisième Carthage remontèrent le Cauca en quête d’une aire plus vaste à leur serre d’aiglons, ils fermèrent le cycle en évoquant ensemble la vieille cité tyrienne où hennissaient les chevaux d’Eschmoûn, les rouges murailles nées du génie d’Hasdrubal, la ville de proie éclose au soleil des Indes, et, de leur nouvelle demeure, ils firent, une fois de plus, Carthago.

Encore ne sait-on point exactement qui fut le réel « descubridor » de ce point, ni même qui lui donna son nom, dans les premières années du XVIe siècle. Francisco de Gomara, dans son Histoire des Indes, raconte qu’en l’an IV, Juan de la Cosa, « natif de Santa-Maria-del-Puerto et pilote de Rodrigo de Bastidas, ayant armé quatre caravelles avec l’aide financière de Juan de Ledesma, de Séville, et de quelques autres, s’étant d’ailleurs nanti d’une licence du roi, à qui il avait offert de réduire les Caraïbes de cette terre, » débarqua en un point qu’il nomma Cartagena, pour consacrer la ressemblance de l’île indienne de Codigo, qui en fermait le port, avec celle qui, dans la Carthagène espagnole, remplit le même office de môle naturel en avant de la baie. Là, s’étant réuni à un certain « capitan Luis Guerra, » il « avait multiplié les férocités, pris six cents personnes, battu toute la contrée à la chasse de l’or et finalement trouvé dans les alluvions du golfe d’Uraba les premières parcelles de ce précieux métal que le Nouveau Monde offrit au roi d’Espagne.