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des murailles ; il y a longtemps que les galions n’appareillent plus vers Palos de Moguer, remportant dans leurs flancs évasés la fortune cruciale de l’Espagne, tribut de ses capitaineries ; et Carthagène, pourtant affranchie, semble toujours en deuil de cette animation partie ; elle regarde l’horizon, la mer bleue et calme, par-dessus ses bastions déserts, elle porte comme un deuil éternel à la voix mélancolique de ses cloches, le long de sa grève ; blanche aux croassemens tristes, sous cet ardent soleil de la côte caraïbe, funèbre à force d’accablement…

Du reste, elle ne doit pas se plaindre, si tant de grandeur défunte ajoute encore le plus poignant prestige à cette sensation de capitale ; que ne donne ainsi aucun autre port de la côte ferme. Quelque chose comme du respect vous effleure, à franchir les solennelles murailles par la poterne sombre, le corps de garde où les soldats de Pointis et de Vernon ont dû, plus d’une fois, se relever de faction ou gratter de la guitare, les bottes à chaudron embarrassées dans leurs épées. Le contraste vous prépare le mieux du monde à l’agréable aspect de la ville, à ces rues fraîches, ombrées, un peu capricieuses mais bien détendues contre l’ennemi, la terrible chaleur de ce pays plat et aride, calles nettes et soignées que dominent les hautes demeures à, balcons paiement, multicolores. Réellement on ne les eût pas attendues en entrant, toutes ces vérandas qui, même avec leurs vieilles grilles de fer centenaires, grêles el rouillées, restent si gaies à l’œil, si propres, si pittoresques par leur diversité. C’est là en effet, ont eu soin de me prévenir les monographies locales, qu’il faut chercher le cachet moderne et la joliesse de Carthagène, peut-être un peu hypocrites à tout prendre, puisqu’ils n’empêchent point les apparitions assez fréquentes de la fièvre jaune. Les descriptions intéressées annoncent pareillement des places nombreuses et bien entretenues. De fait, sur celle, triangulaire, qui porte le nom illustre et infortuné de Christophe Colomb, on se sent presque soulagé dans son besoin intime de réparation et de gratitude en s’arrêtant un instant sous la statue de marbre du navigateur, supportée par des rostres de navire, sa main inspirée dirige un gouvernail. Et une toute petite Amérique indienne est agenouillée à ses pieds, candide et priante, la tête enserrée dans le diadème de plumes.

Devant la cathédrale, c’est mieux encore : la parure d’un beau square. Mais comment dire l’espèce de malaise, le sinistre