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ton partout, comme l’homme mystique et sensuel reste l’homme intellectuel toujours dans les manifestations diverses d’une même pensée qui a ses hauts et ses bas. » C’est donc que dans les deux cas l’état d’esprit du poète est en effet le même : dans l’émotion religieuse comme dans l’excitation des sens, il ne poursuit que la jouissance. Qui ne voit que ce dilettantisme est tout le contraire du sentiment chrétien ? Au surplus, l’exemple de Verlaine n’est pas isolé, et il est vérifié par celui de tous nos récens chrétiens de lettres. La rêverie alanguie de nos contemporains s’est mêlée d’un mysticisme inquiétant et trouble : ç’a été une des maladies de la littérature de ces dernières années : tout juste peut-on dire que Verlaine en a été plus profondément atteint qu’aucun autre et qu’il en a donné l’expression la plus aiguë. Après cela il est bien superflu de discuter sur le degré de sa sincérité, et c’est une question oiseuse de rechercher jusqu’à quel point il a été dupe lui-même de son émotion au moment où il la ressentait. Il suffit de ne pas s’abuser sur la nature de cette émotion et d’y voir ce qu’elle est réellement : une forme de l’énervement, un cas de sensualité triste. Autant il est éloigné des façons de sentir des chrétiens qui l’ont si imprudemment adopté pour un des leurs, autant Verlaine est étranger aux préoccupations des jeunes poètes qui, par suite d’un violent malentendu, se sont groupés autour de lui. Il est exact, en effet, que nous assistons depuis une vingtaine d’années à un effort intéressant et méritoire pour renouveler la poésie ; mais cet effort, dans ce qu’il a d’efficace, va précisément à l’inverse des exemples donnés par Verlaine. Cette poésie qui s’essaie à naître a reçu de ceux qui l’ont qualifiée de symboliste son appellation la plus juste. Elle est tout ensemble une réaction contre la poésie des romantiques et contre celle des parnassiens. Tandis que les romantiques se bornaient à subir la poussée de leurs sentimens personnels ou de leurs sensations, elle s’efforce de laisser à l’arrière-plan la personnalité du poète et suppose chez celui-ci une sorte de sérénité. Tandis que l’art des parnassiens était tout extérieur, elle s’efforce de réintégrer l’idée dans ses droits. Suggérer des idées à l’aide de symboles qui ne sont que des images organisées et vivantes, tel est son objet. Mais nul n’a été plus que Verlaine incapable de traduire autre chose que les états de sa propre sensibilité ; nul n’a été plus que lui incapable de concevoir aucune espèce d’idée ; nul n’a été moins que lui créateur de symboles. Si la trame de son style, le plus souvent prosaïque, se relève çà et là d’ingénieuses images, ce ne sont que de subites trouvailles sitôt abandonnées. Il ne peut les suivre ; il est vite essoufflé. Son art est tout