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point près de lui, pour l’encourager et le stimuler, une âme plus profonde, plus ardente que la sienne : car il a été rejoint dans sa solitude par une de ses cousines, une jeune veuve, Éléonore Burgoyne, qui s’est tout de suite intéressée à son travail, et a fini par devenir presque sa collaboratrice. Cette jeune femme est, — on le devine, — d’une troublante beauté ; et Edouard Manisty est, lui aussi, merveilleusement beau, du moins quant à la partie supérieure de son corps ; il a seulement, par malheur, une tête et des épaules si énormes que le reste de sa personne en est comme écrasé. Éléonore s’en rend compte ; elle sait également que son cousin a le travers de vouloir cacher cette bizarre difformité : elle sait qu’il est vain, puéril, égoïste : mais elle l’aime, chaque jour elle l’aime d’un amour plus violent, et le bonheur qu’elle éprouve à écrire sous sa dictée lui rend chaque jour davantage les forces, la santé, et le goût de la vie. Elle n’a cependant rien laissé voir de son amour à Manisty : ou plutôt celui-ci, tout occupé de lui-même, n’en a rien voulu voir : mais elle attend avec impatience une promenade qu’il lui a promis de faire avec elle, pour elle, le jour où il aura terminé son dernier chapitre. Ce jour-là, sans doute, leurs deux cœurs pourront enfin s’ouvrir l’un à l’autre !

Hélas ! l’espoir de la pauvre femme est tristement déçu. Au moment où va être terminé le dernier chapitre, Manisty rencontre un de ses anciens professeurs d’Oxford qui, en quelques séances, lui prouve que son livre n’a pas l’ombre de sens commun, tant au point de vue des idées qu’à celui de la forme ; c’est décidément une œuvre manquée, et l’auteur, loin de savoir gré à Éléonore de sa patiente et active collaboration, serait plutôt tenté de la lui reprocher. Mais ce n’est pas tout. Une jeune fille américaine, miss Lucy Foster, est venue passer quelques mois dans l’ermitage d’Edouard Manisty : et celui-ci, au premier instant, ne s’est aperçu de sa présence que pour redouter le dérangement qu’il allait en avoir : sans compter que cette naïve jeune fille ignore d’instinct toute coquetterie, et ne se soucie de faire valoir ni ses beaux cheveux, ni ses beaux yeux, ni tout son charme de gentil oiseau exotique, ni la science et l’esprit dont elle est remplie. Tout cela, cependant, qui échappe à Manisty, ne tarde pas à frapper Éléonore Burgoyne : et celle-ci, avec une imprudence à jamais regrettable, se plaît à parer, à embellir, à civiliser la jeune Américaine, qui s’enhardit même, un jour, jusqu’à complimenter Manisty de son talent d’écrivain. Alors Manisty s’aperçoit qu’elle est délicieuse : et, pour se distraire du souvenir de son livre, il se met à l’observer, et bientôt à l’aimer. En vain, Éléonore s’efforce de le rappeler à elle. En vain, dans