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— Oui, c’est vrai, je m’étais soumis. J’avais cédé. Ils m’avaient apporté un message du Saint-Père qui m’avait brisé le cœur. La semaine prochaine ils allaient publier la rétractation officielle : Librwn reprobavit et se laudabiliter subjecit, vous savez la formule ! Mais, après cela, ils m’ont demandé davantage ! Son Éminence m’a demandé une lettre privée, afin de la placer sous les yeux du Saint-Père. Alors j’y ai mis une condition. Je voulais bien écrire la lettre, mais ils me promettraient, de leur côté, de ne rien publier que la rétractation publique ; ils me promettraient de ne faire usage de ma lettre que pour eux et pour le Pape. Et ils me l’ont promis, — oh ! de vive voix, pas par écrit ! — et j’ai écrit la lettre. Je me suis placé, comme un fils, entre les mains du Saint-Père. Et voilà que, ce matin, ma lettre, tout entière, a paru dans l’Osservatore romano ! Je viens donc vous annoncer que demain je retire tout, je retire ma rétractation !


Et le vieux prêtre fait ainsi qu’il l’a dit. Attachant plus de poids, sans doute, à son amour-propre qu’à ses idées, il envoie à un journal anticlérical une lettre où il déclare qu’il ne se rétracte plus, mais entend, au contraire, continuer à soutenir la thèse condamnée. Et depuis ce moment il devient, pour les héros du roman et pour Mme Ward elle-même, un véritable saint, le seul peut-être qu’ait jamais produit l’Église romaine. « Avec son merveilleux désintéressement, son poétique et passionné détachement de toute ambition, » il représente « l’idéalisme sous sa forme la plus pure. » Contraint de quitter Rome, il se réfugie, — coïncidence singulière, — dans le même village des environs d’Orvieto., où se réfugient Eléonore et Lucy. Il y récrit son livre, mais cette fois plus à son aise, avec une « touche » infiniment plus forte « d’évolutionnisme et de critique biblique. » Et son divertissement favori est de raconter aux deux jeunes femmes le mauvais tour qu’on lui a joué à l’Osservatore romano.

Encore n’est-ce point la seule chose dont il ait à se plaindre. Un cardinal, qui lui avait témoigné de la sympathie, refuse maintenant de répondre à ses lettres. Le curé du village refuse même de le saluer. Les gamins lui jettent des pierres en l’appelant Bestia ! Personne ne consent à le servir, ni à l’écouter. Sa chaire de théologie lui est enlevée. Sa sœur lui annonce qu’elle préfère désormais ne plus demeurer avec lui. Et de chacune des phases de son martyre il se plaint abondamment à Eléonore, sa sainteté n’ayant pas la muette résignation de celles que nous raconte la Légende dorée. Aussi Eléonore, de jour en jour, sent-elle grandir sa vénération, son enthousiasme pour lui ; et Mme Ward, elle aussi, aime et admire sans cesse davantage cet « humble serviteur de la patrie céleste, » jusqu’à ce que, à la fin du roman, elle lui procure une chaire de théologie dans une université