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Ne vais-je pas au-devant de leur ennui et de leur dégoût certains ? Et encore, et surtout, n’est-il pas bien téméraire à moi de mettre ce récit sous les yeux du poète et de l’animateur qui a créé tant de figures gracieuses, exquises, enchanteresses ?


Non, je ne crains pas que sœur Jeanne vous rebute !

Quand, après lecture faite, une personne d’esprit et de cœur ferme quelqu’un de vos livres magiques, — n’importe lequel, courte nouvelle ou long roman, petit joyau précieux ou rayonnant foyer de lumière idéale, — quand on ferme, dis-je, un de vos livres, après l’avoir lu jusqu’à la dernière page, on sent au fond de son cœur une débordante plénitude d’admiration secrète ; et ce qui inspire cette admiration, c’est quelque chose de très haut et de très pur que vous avez dans l’âme : la pitié.

Vous connaissez, Ami et Maître, toutes les erreurs humaines, et pas une seule ne vous laisse indifférent, et chacune reçoit de vous sa part d’indulgence et sa part de douceur. Toute la faiblesse et toute la misère de l’être humain, avec toutes ses perfidies et toutes ses lâchetés, vivent dans vos œuvres ; mais, à côté, pour leur servir de médecine et de baume, pour les consoler et pour les absoudre, croît aussi cette compassion que Dieu vous a départie comme un don suprême. Toute l’horreur de ce Mal qui donne la nausée et qui épouvante, toute cette horreur qui jette au pessimisme et à l’athéisme tant d’âmes faites pour croire et pour aimer, vous ne vous en détournez pas ; mais, au contraire, vous allez au-devant d’elle, et vous l’affrontez, et vous la combattez avec votre belle charité d’homme et de poète, et, dans la victoire, vous conservez encore la même charité. Honneur à vous qui, comme artiste, ne fûtes jamais dur, jamais cruel.’Honneur à vous qui, comme artiste, ne fîtes jamais verser de larmes, et qui toujours, avec cette sublime philosophie morale où resplendit toute votre bonté, trouvâtes le moyen de sécher celles qui coulaient ! Puisse le pouvoir de bienfaisance qui est en vous protéger le triste front de sœur Jeanne et lui donner l’auréole de l’humaine compassion ! Puisse votre pitié répandre autour de sa vieillesse, de son abandon et de sa misère le charme mélancolique des douleurs comprises, et soulager sa silencieuse infortune, et réconforter son obscure détresse ! Alors, le poète aura fait œuvre de poésie, l’homme aura fait œuvre d’humanité.

Mais je vais plus loin encore, dans ma sollicitude attendrie. Je veux qu’en la nonne brutalement expulsée de son cloître, vous reconnaissiez une modeste sœur des nobles et malheureuses femmes qui