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moineau, ni les pruniers sans la lune, L’Ecole des Beaux-Arts de Tokyo m’a stupéfait. Les rapins, silencieusement accroupis ou étendus sur leurs tatamis, calquaient et décalquaient avec un soin religieux d’anciens kakémonos. Et leur professeur, un des peintres les plus réputés du Japon moderne, venait d’exposer à l’admiration des connaisseurs un tigre qui, de la queue aux moustaches, reproduisait trait pour trait un tigre fameux du siècle passé. Aussi ne doutai-je plus de la sincérité des maîtres de collèges, quand, après ma visite, ils m’offraient parfois des aquarelles de leurs élèves, dont la précocité fantaisiste m’eût naguère déconcerté. Et je ne trouvai plus étonnant qu’un simple paysan pût saisir la finesse d’un coup de pinceau ou le charme subtil d’une allitération. Les Japonais ne sont souples et divers qu’à la surface. Pour peu que vous pressiez l’individu, vous louchez bientôt le fond immobile et résistant de la race.

Cette race, dont l’art manque de génie comme sa politesse d’initiative, doit son imagination impersonnelle non seulement à sa pauvreté philosophique, qui lui interdit les grands espaces, et à son éducation bouddhiste, qui stérilise la vivacité spontanée de la plante humaine, mais encore à l’influence des caractères chinois, si considérable dans la langue japonaise, des caractères prétendus idéographiques expriment bien moins l’idée féconde, agile, vivante, aux rapports induis, qu’ils ne figurent l’objet inerte, immuable, borné, mort. L’esprit n’en peut étendre ni épurer la signification matérielle. Ils ne représentent que des sensations, n’éveillent que des idées concrètes et trop délimitées pour se développer librement. Les écoliers qui jusqu’à quinze ou seize ans apprennent à en tracer du bout de leur pinceau les pleins et les dédiés, outre qu’ils surmènent leur mémoire, y contractent l’habitude d’assujettir leur pensée à des moules étroits et fixes. Ils se font les esclaves de leurs mots, tandis que les nôtres sont pour nous de dociles et rapides serviteurs. Quand je voyais ces adolescens, le coude en l’air, le pinceau vertical, dessiner à traits fins ou écrasés ces signes cabalistiques, qu’ils enjolivaient de hachures et de pointillé, ils me semblaient ciseler précieusement de petites cages où les idées s’étiolent et s’ankylosent. Leur calligraphie est un art comme le dessin et la peinture, et, qu’une page bien écrite vaille à leurs yeux un bon tableau, rien de plus logique, puisqu’elle parle à l’imagination, mais toujours des mêmes objets et sous la même forme. Un Japonais me montrait un jour deux