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de la plante, mais ils la choisissent taillée, sculptée, fouillée par l’eau des torrens ou le feu souterrain. Le Japon est le paradis volcanique des pierres. Elles se dressent, bizarrement mais naturellement découpées et plates, aux approches des temples, au seuil des maisons, sous les arbres, le long des routes. Tel jardin, tout en rocs et en galets, vous donne si bien l’illusion d’une grève que pour un peu vous y entendriez le bruit de la mer. Les pierres parlent, agissent, font des signes, opèrent des miracles, saluent les disciples du Bouddha, et l’on en cite même une que l’empereur Ojin, augustement enivré, frappa de son auguste sceptre et qui s’enfuit épouvantée devant Sa Majesté titubante. On les aime, on vénère la beauté de leur forme, l’étrangeté de leurs dentelures. Il en est de même des monticules, des sinuosités d’une rive, du tournant d’une allée, d’un sentier où de vieilles racines se tordent et rampent. Le peintre en exprime et le jardinier en ordonne la physionomie distincte, hiéroglyphique, vivante, je dirais presque mobile, tant le jeu de leurs caprices nous paraît instable.

Comme ils ont observé les faces constantes de la nature, les Japonais étudièrent les plantes et les fleurs. Des botanistes européens admirent la vérité scientifique de leurs esquisses. Plus épris de lignes que de couleurs, ils indiquent d’un trait sur l’élancement de la tige, le jaillissement de la corolle, l’éparpillement des feuilles, la mimique des branches. On a mené grand bruit autour de leurs bouquets ; l’Anglais Couder et d’autres après lui consacrèrent de longues études aux méthodes japonaises d’arranger les fleurs, ce qui faisait dire à un Japonais de mes amis qu’un jour viendrait sans doute où les professeurs de son pays composeraient de doctes thèses sur la manière dont nos grisettes nouent leurs rubans dans leurs cheveux. Mais, bien que le snobisme étranger justifie celle ironique comparaison, les trois branches qui composent le bouquet japonais révèlent, par leurs courbes et leurs torsions élégantes, l’expérience de toute la grâce où la nature peut infléchir et contourner un simple rameau.

Que l’arbre ou le rameau soient piqués des vers, ce travail des infiniment petits séduit la fantaisie japonaise et devient pour elle un sujet d’ornementation. J’ai vu d’anciens écrans dont les bandes de soie brodées ou peintes représentaient du bois vieux troué par les insectes. L’artiste avait rivalisé de patience et de pointillage avec ces imperceptibles rongeurs. Et des milliers de larves invisibles grouillaient dans les réseaux et les festons de son