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haleine, sans unité de composition, rien de ce qui fait un Homère ou un Rabelais.


Cette œuvre qu’ils n’ont pas écrite, ils l’ont parlée, ils la parlent tous les jours. Chez eux la parole vaut mieux que la lettre moulée, le diseur que l’écrivain. A Tokyo, dans les villes et les campagnes, la foule se presse le soir aux portes des Yosé. Les yosé sont à la fois des tréteaux de Taharin, des cafés-concerts, des salles de conférences, des théâtres d’improvisateurs. Hommes et femmes agenouillés sur des ta tamis devant une petite estrade y écoutent le conteur qui, à genoux comme eux, l’éventail à la main, mime son récit de tous les muscles de son visage. Et ces conteurs m’ont abasourdi par la volubilité de leur langue, la mobilité de leurs traits, la vie multiple de l’anecdote, de la comédie ou du drame qui se jouent sur leurs lèvres. Là s’échappe une verve comique que le puritanisme des samuraïs et la rigueur des convenances féodales comprimèrent sans parvenir à l’étouffer.

Elle est grasse et volontiers burlesque. J’ai entendu les farceurs de yosé poser à leurs auditeurs des questions tabariniques, susceptibles de leur conforter les « hipopondrilles de l’entendement. » Et lequel des deux est le meilleur d’avoir la vue aussi courte que le nez, ou le nez aussi long que la vue, ils en sauraient disserter aussi doctement que nos turlupins de la foire. Je tiens d’eux que le Japon possède quarante-huit espèces de sots dont la sottise se mesure d’ordinaire à leur taille. Voyez plutôt l’église d’Asakusa : la déesse Kwannon, toute mignonne, toute petite, pas plus haute qu’une main d’enfant, a pour se loger un temple vaste, tandis que les gardiens des portes, qui sont énormes, heurtent d’un front borné le plafond de leur niche.

La plaisanterie égrillarde et souvent satirique batifole autour des lits d’accouchées et des petits dieux choyés par les matrones. J’ignore d’où vient aux Japonais tant de gauloiserie. Mais, si leur langage, courtois même dans la bouche des charretiers, ne possède aucune espèce de jurement et ne s’émaille jamais de nos pittoresques imprécations, la gaillardise plantureuse et la joyeuseté pantagruélique poussent dru sur le terroir des chrysanthèmes. Les femmes et les gens d’église n’y sont pas mieux traités que dans nos fabliaux. Le caquetage, la curiosité et la rouerie des commères, la béate concupiscence des prêcheurs bouddhistes, l’adresse des vieux bonzes à brider la bécasse, la friponnerie des