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dans cette « défilade » de contemporains et de contemporaines mêlés, où figurèrent le chef de l’État et « la Goulue, » des « gommeux » et des députés, des soldats et des clowns et des processions de polichinelles, zébrant l’espace, s’enfonçant et bleuissant dans un ciel d’azur apaisé.

Deux bébés jaunes et roses se disputent des nonnettes de Dijon sur un fond vert cru ; une Frisonne plantureuse, aux tempes plaquées de cuivre et le chignon casqué de ; métal, nous recommande du cacao ; un tricycliste conquérant, derrière lequel court un gendarme essoufflé, enlève sur son « tuf-tuf » une jeune blonde, sous les yeux de l’époux ébahi.

Où l’affiche coloriée revient sans cesse, où elle se complaît, où elle triomphe, c’est dans la représentation d’un être femelle aux traits chiffonnés, moitié princesse de féerie et moitié « gigolette, » les lèvres entr’ouvertes, des mèches folles sur le Iront, les yeux prometteurs, — nos aïeux disaient « fripons, » ce qui d’ailleurs revient au même. — Type illusoire, tantôt se déhanchant dans un nuage de gaze, tantôt à cheval pour propager un journal de courses : parfois s’offrant, en costume de bains, aux caresses de la laine pour lancer une station balnéaire, fumant en l’honneur d’un papier à cigarettes, écrivant en vue de populariser une encre indélébile, essayant des bottines afin de nous donner le nom d’un cordonnier, ou brandissant une lampe au profit d’un marchand d’huile minérale ; toujours la même par l’expression, quoique indéfiniment différente dans l’attitude, elle prête à toutes les offres du commerce le charme de sa petite personne, un peu légère et, si l’on veut, trop hardie dans le déploiement de ses séductions.

Mais la civilisation invente, pour notre bonheur, tant de choses laides et tristes, qu’il sera beaucoup pardonné ; sans doute à cette forme d’annonces, pour sa note de grâce et de beauté.


Vte G. D’AVENEL.