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France, France réponds à ma triste querelle.
Mais nul, sinon Écho, ne répond à ma voix.
Entre les loups cruels j’erre parmi la plaine,
Je sens venir l’hiver, de qui la froide haleine
D’une tremblante horreur fait hérisser ma peau.
Las ! tes autres agneaux n’ont faute de pâture,
Ils ne craignent le loup, le vent, ni la froidure,
Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau.


Tous les poêles de la Pléiade, nous en verrons d’autres exemples, ont aimé passionnément la France, ou plutôt, nous l’avons déjà, vu, dans la Défense et Illustration de la Langue française, nous le savons déjà ; et, si quelquefois, comme ici notre poète, ils ne laissent pas de mêler à la louange du pays natal quelque considération ou « ressentiment » d’eux-mêmes, je ne voudrais pas plus le leur reprocher qu’à un enfant de ne pas distinguer, dans l’amour qu’il a pour sa mère, ce qu’il lui doit de ce qu’il en attend.

Mais ce qui achève de faire le prix des Regrets, c’est ce qu’ils contiennent de personnel, et pour mieux dire encore d’intérieur au poète :


Ceux qui sont amoureux leurs amours chanteront,
Ceux qui aiment l’honneur chanteront de la gloire,
Ceux qui sont près du roi publieront sa victoire,
Ceux qui sont courtisans leurs faveurs vanteront.
Moi qui suis malheureux, je plaindrai mon malheur.


Et il la fait comme il le disait. Mais, ne pouvant « plaindre son malheur, » ni surtout le décrire, sans un peu descendre en soi-même, il a vécu ses sonnets d’une vie intérieure, pour les écrire, avant de les écrire ; et ils vivent à leur tour de sa vie. Là est l’originalité de ses Regrets et de son talent. Tandis qu’en France ses amis, — et au premier rang d’entre eux ce triomphant Ronsard, — continuaient de vivre d’une vie en quelque sorte tout extérieure, qui se dépensait dans la joie de ses manifestations, et qui ne se ramassait en soi, de loin en loin, que pour y puiser la force de se répandre plus abondamment au dehors, dans les agitations de la cour et de l’amour, Du Bellay, lui, dans son exil de Rome, s’est replié sur lui-même, il s’est observé, il s’est connu, il s’est décrit ; il a fait son occupation, son tourment et sa consolation à la fois, de se peindre.