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diverses familles du bassin méditerranéen se rencontraient après de longs trajets, nous apparaît minuscule, incommensurable avec la Cosmopolis moderne, celle qui attire les foules mondiales, accourues en quelques jours de toutes les terres habitées, au-delà des océans et aux confins des deux pôles. On ne voyait pas, dans Rome ou dans Alexandrie, les naturels de Tokio et de Chicago ; on n’y recevait pas les dépêches parties une heure auparavant des antipodes ; on n’y touchait pas, sur la présentation d’un morceau de papier, l’argent gagné la veille dans une opération télégraphique sur les grains d’Amérique ou les soies du Japon.

En vérité, quand on fait le calcul sommaire ; de ces foires d’attraction, quand on se représente la broyeuse universelle qu’elles actionnent, — je veux dire notre civilisation niveleuse, — on se demande comment deux groupes humains peuvent encore se différencier l’un de l’autre. Cependant certains de ces groupes, les plus proches, les plus semblables entre eux, ne furent jamais aussi radicalement divisés, jamais aussi irréductibles ! Si quelque historien nous retraçait, dans ses études sur une époque lointaine, ces deux figures inconciliables du même temps, nous crierions à l’invraisemblance, nous dirions qu’il a mal observé. Nous serions encore plus sévères à son paradoxe, s’il attribuait ces effets contradictoires aux mêmes causes, et à quelles causes ! Les conséquences dernières d’une révolution émancipatrice, l’épanouissement des sciences, la connexité chaque jour plus étroite des intérêts qui réunissent les hommes, quand ils ne les arment pas in mutua funera ! Le phénomène est là, sous nos yeux : nul ne peut ignorer l’un ou l’autre de ses aspects. Nationalisme et cosmopolitisme, les deux principes antagonistes luttent avec des forces sensiblement égales. Je dédie le plus clairvoyant prophète de dire à cette heure lequel l’emportera. Leur duel ne fait que de commencer : il sera la grande affaire du nouveau siècle, tout nous le présage.


III

Plût au ciel que cette lutte dramatique nous offrît seulement un intérêt de curiosité. Il n’en est point ainsi. Nous ne la regardons pas de Sirius. Elle a des répercussions angoissantes dans nos consciences et dans notre vie publique. Nous ne pourrions