Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 1.djvu/782

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Ici est né Bonaventure des Périers ? » Oui, le gaulois auteur du Cymbalum mundi, le philosophe au nez pointu, le Bourguignon salé qui en savait si long et qui en dégoisait tant sur les hommes et sur les dieux, le valet de chambre de Marguerite de Navarre, ce petit Voltaire de l’avant-veille qui dut connaître Rabelais, est né dans ce coin inconnu de la vieille Franco. La maison où il vint au monde subsiste, telle quelle, avec ses fenêtres en anse de panier ; et la ville elle-même n’a pas changé, probable, depuis que le mauvais sort du pauvre Bonaventure l’en a fait sortir pour courir le monde.

Le bourg est un peu loin de la gare où le petit chemin de for arrive en peinant et en soufflant ; on dirait qu’il y a quelque gêne dans le contact encore hésitant de la vieille ville et de la station récente. On voisine, et voilà tout. De beaux arbres subsistent, restes des avenues du vieux château, et suffisent, à eux seuls, pour justifier l’appellation seigneuriale, la Duché. Le château lui-même, bâti, dit-on, par les ducs de Bourgogne, retentit constamment, derrière ses murailles hautes, closes et discrètes, d’un grand bruit de fer : hélas ! c’est maintenant une clouterie. Le bourg a groupé, autour de sa vieille église, refaite au XVIe siècle, ses vieilles maisons monacales, aux judas grillés, ses rues étroites, ses places triangulaires ou de guingois, les longs murs blancs où grimpe, par-dessus la tuile, la verdure discrète des jardins, la ceinture du tour de ville, où, le soir, se perdent les amoureux, et enfin, le long des chemins, le semis des maisons rustiques et pauvres qui vont, pou à peu, se dispersant en faubourgs, s’égrenant et se perdant dans la campagne solitaire. Le pays, tout autour, se seul encore du Morvan. La campagne est verte, coupée de haies, avec de grands arbres qui marquent l’échiquier serré de la propriété morcelée.

J’arrivai à Arnay-le-Duc un soir de juin. Il faisait chaud. On entendait les buveurs crier et rire derrière les rideaux rouges des auberges : les femmes allaient et venaient par les rues, donnant le dernier coup de main à la besogne du soir, et surveillant les hommes et les en fa ns ; les vieux fumaient leur pipe, assis sur les bancs de pierre. A l’hôtel, souper copieux, hôtesse ; avenante et vin bon.

Après le souper, je parcourus la ville, à la clarté de la lune. Le monde était rentré ; les maisons avaient fermé leurs portes et leurs volets. La ville s’était endormie ; elle était pleine de silence