Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 1.djvu/799

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

macabres qui se mirent en mouvement, et les crânes décharnés riaient joyeusement de leurs dénis d’ivoire.

Tout le petit jardin était en tête et, sous la terre réchauffée et amollie, les vieux morts eurent envie de se soulever pour prendre part à la joie de leurs enfans qui criaient à plein gosier et qui frappaient le sol en dansant.

Car c’étaient les filles de toutes les mères couchées là. C’était la même race, le même sang, les mêmes à mes peut-être. Mortes et vivantes, elles étaient réunies au pied de la vieille église qui les avait vues, et les voyait, et les verra toutes passer sans cesse à travers les siècles, et qui les abrite indistinctement.


La sœur maîtresse se montra sur le seuil de l’école. Elle frappa trois fois, de la main, sur son livre d’heures ; la récréation était finie. Les sœurs rassemblèrent le petit monde. Sur un signe, les jeux cessèrent ; les figures roses se rapprochèrent et, deux par deux, elles rentrèrent et disparurent dans l’ombre du vieux porche. Cependant, les voix gazouillaient encore, comme celles des oiseaux dans les haies quand le soir tombe. Elles se turent pourtant, l’une après l’autre, et le silence remplit de nouveau tout le cloître. On n’entendait plus que la voix grêle d’une petite qui, à l’intérieur de la classe, égrenait sa leçon en hésitant.

Le soleil s’était caché. La brume monta de la terre et s’épaissit lentement. L’église s’enveloppa d’un suaire. Les morts se rendormirent.

Nous partîmes, craignant de troubler leur repos.

En passant devant la loge, nous saluâmes la concierge. Elle sortit un instant sa tête pâle, regarda le ciel et, craignant la pluie, rentra le pot de chrysanthèmes.


Gabriel Hanotaux.