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L’ENCYCLOPÉDIE.

de mourir ; et Fontenelle, plus avisé qu’eux, était resté Cartésien et n’avait pas cessé de faire profession de l’être.

Cependant, ils ne le firent point, pour bien des raisons, dont le spiritualisme, le théisme et le christianisme aussi de Descartes ne doivent pas être les moindres ; pour celle-ci aussi, sans aucun doute, que Descartes est un ancien, qu’il a fait école, qu’il a laissé tradition, qu’il est classique, que l’enseignement scientifique et philosophique du XVIIe siècle s’en est emparé, que, de Port-Royal à Bossuet et de Bossuet à Fénelon et à Malebranche et enfin à Fontenelle lui-même, Descartes a circulé à travers les hommes. Descartes a comme une odeur de XVIIe siècle et le XVIIe siècle, à l’exception de Bayle, est en horreur aux Encyclopédistes, comme « siècle de grands talens plutôt que de lumières. » Il faut faire un esprit tout nouveau en France et qui ne conserve pas même souvenir du passé. Il faut brûler le vieil homme de telle manière qu’il n’en reste plus même de cendres.

C’est de là que vient le caractère cosmopolite ou plutôt le caractère étranger de l’Encyclopédie. Il ne suffit pas de n’être pas chrétien ; il faut encore n’être pas Français. « Un homme né chrétien et Français » c’est la définition donnée par La Bruyère, de l’homme du XVIIe siècle. Aussi c’est du côté de l’Angleterre, ce que, du reste, je ne lui reprocherais point du tout, si en même temps il avait tenu compte du passé scientifique et philosophique de la France, que se tourne l’Encyclopédiste. Non seulement le seul philosophe qui existe à ses yeux est le « sage » Locke ; mais, comme l’a très bien indiqué M. Ducros, le théoricien politique qui le guide à l’ordinaire n’est autre que Hobbes. Les Anglais seuls pensent, peuvent penser, doivent penser. La préface de l’Encyclopédie à cet égard, c’est le Siècle de Louis XIV, lancé juste au moment où l’Encyclopédie allait paraître. On a dit, et c’est M. Rebelliau dans une introduction qui n’est pas aussi connue qu’elle mérite de l’être, que, « si Voltaire se propose de peindre le siècle de Louis XIV, c’est surtout par esprit de réaction dépitée contre le siècle présent…, contre ce « siècle de fer » et ce gouvernement imbécile… contre ces Français de la décadence qui s’endorment sous la somnolente torpeur d’un ministre caduc et d’un roi apostolique… » Il y a du vrai, et somme toute, là aussi, Encyclopédiste seulement à demi, Voltaire est un des hommes du XVIIIe siècle qui ont le plus rendu justice au siècle précédent, et l’on peut, pour son persuader, le comparer à Montes-