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son auguste correspondant. Celui-ci ne se donna pas la peine d’étudier sa conduite antérieure. Il paraît avoir ignoré que Montgaillard passait à Londres pour être l’agent secret de Robespierre ; qu’ayant fait en 1793 un séjour dans cette ville, il s’était vu contraint d’en sortir, à la suite d’intrigues aussi obscures que les raisons qui l’avaient déterminé à s’y mêler ; et qu’en dépit des opinions royalistes qu’il affichait, il avait, aux heures les plus sombres de la Terreur, vécu dans Paris, sans être inquiété, bien qu’il figurât sur la liste des émigrés. Averti de ces circonstances, Condé se fût méfié. Mais on ne les connaissait pas encore. Personne ne les lui révéla. Montgaillard fit sa conquête en lui donnant à entendre qu’il pourrait sans doute lui faciliter un emprunt.

Ce fut donc à lui que le prince s’adressa, quand il songea à tenter Pichegru. Bien que nous ne sachions rien de précis, quant à la date et à la forme de leurs pourparlers préliminaires, il semble que Montgaillard ne marchanda pas longtemps son concours. Une lettre que le prince lui écrivit le 2 juin afin de le mander à Mulheim le trouva décidé et d’ailleurs déjà au courant, à la suite de conversations antérieures, des intentions dont on voulait encore l’entretenir. Le surlendemain, après une rapide visite à Condé, il lui annonçait de Bâle son départ pour les bords du lac, d’où il comptait ramener la personne nécessaire, à laquelle il était essentiel d’enjoindre une troisième. Il avait jeté les yeux « sur quelqu’un dont l’activité, l’esprit et les lumières étaient parfaitement propres à la mission. » Ce quelqu’un, c’était le libraire Fauche-Borel, qu’il avait rencontré naguère en Suisse, à Neuchâtel où le futur metteur en scène de la conjuration de Pichegru était domicilié.

Fauche-Borel, à cette époque, avait trente-trois ans. Imprimeur et libraire dans sa ville natale, il y était estimé. Quoique protestant et sujet du roi de Prusse, il avait grandi dans le culte de la France, ce qui n’est pas pour étonner, sa famille, d’origine française, n’ayant passé à l’étranger qu’à la suite de la révocation de ledit de Nantes. Violemment hostile à la Révolution et aux Jacobins, il avait fait de sa maison un asile pour les émigrés, le centre de leurs intrigues et la fabrique des publications contre-révolutionnaires qu’ils s’évertuaient à répandre en France à l’effet d’éclairer l’opinion publique. Il était l’éditeur des écrits qu’à tout instant lançait en Europe et essayait de faire pénétrer en France