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oreille, s’obstine dans son idée, témoin ce billet : « Le prince de Condé voit avec peine que M. Pichegru ne s’est pas prêté à ce qu’il lui demandait, de lui envoyer un homme de confiance avec un mot de sa main[1]. »

Le 14 septembre, Courant apparaît à minuit. Montgaillard mande la nouvelle de son retour à Montesson, l’aide de camp du prince, qu’il prie de venir le voir le lendemain matin. « Ma tête est dans un état affreux et le sujet trop étendu pour que je puisse le mettre exactement par écrit. » Il pourrait ajouter qu’il ne sait comment communiquer les impressions qu’a rapportées Courant du quartier général de Pichegru, tant elles confirment peu les projets que lui-même a mensongèrement attribués au général, les jours précédens. Pichegru se dérobe ; il n’offre plus d’ouvrir des places, ni de passer le Rhin ; il ne veut en un mot rien livrer au hasard dans une affaire aussi grave, et, s’il a un plan, il ne l’exécutera qu’avec lenteur. Comment apprendre au prince de Condé cette reculade, sans s’exposer à voir se tarir la source des subsides qu’on espère ? Il faut donc, malgré tout, entretenir sa confiance, et Montgaillard, à cet effet, rédige une note qu’approuve Montesson et qu’il apporte au prince. On y lit : « La chose est si positivement engagée que je la regarde ; comme exécutée, parce qu’il est de toute impossibilité que le général Pichegru ne l’exécute point. » Mais il lui faut du temps. Il désire avoir auprès de lui M. Courant, et que M. Fauche se tienne à Paris pour le renseigner.

Tout ceci, on l’a deviné, n’est qu’inventions et mensonges ; mais c’est pour arriver à cette conclusion : « Le général désire que la personne qui sera près de lui puisse lui fournir, au moment même où il en aura besoin pour les officiers généraux et son armée, les sommes qui lui seront nécessaires. » Et Montgaillard ajoute : « Si Votre Altesse ne peut pas disposer d’une somme de cent, deux cent mille livres, il devient nécessaire de la demander aux Anglais. Je suis si parfaitement pénétré de la perfidie du Cabinet anglais que, lorsque j’ai l’honneur de proposer une mesure semblable à Votre Altesse, Votre Altesse doit être bien convaincue combien l’état des choses me paraît critique… Cette confidence peut être faite d’ailleurs à

  1. Ce billet laisse supposer que Condé doutait de l’authenticité de celui qu’on lui avait dit être de Pichegru (voyez plus haut) ou qu’il n’y attachait aucune importance.