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un rapport officiel que la situation restait sérieuse, sinon grave. En fait, les Américains ne commandent, aux Philippins que dans la zone où portent les fusils et les canons du corps d’occupation. Une nouvelle commission civile, envoyée par le président Mac-Kinley dans l’Archipel, pour travailler à l’apaisement, ou tout au moins pour figurer, à la veille du scrutin présidentiel du 6 novembre, un commencement d’exécution des réformes conseillées par les enquêteurs de 1899, a cru devoir, le 1er septembre dernier, retirer au général tous pouvoirs de direction politique. Elle a éprouvé aussitôt diverses surprises qui ressemblent fort à d’amères déceptions. Ne sachant comment employer une disponibilité de 2 millions pour le plus grand bien des îles, elle a voulu consulter les notables : les notables ne lui ont pas répondu. Convaincue que l’organisation de la vie municipale offrirait pour l’instant une satisfaction suffisante aux aspirations des Philippins, elle a ordonné qu’on procédât aux élections communales dans les villes et villages : les seules localités où est déployé l’étendard étoile des États-Unis ont obéi : encore le malheur des temps a-t-il voulu que plusieurs des fonctionnaires municipaux aient été assassinés par hasard au lendemain de leur élection.

Au point de vue, religieux, les Américains ne semblent pas mieux éclairés que devant : témoin le questionnaire que la nouvelle commission vient de répandre dans toutes les provinces pour se former une opinion[1]. Ils s’obstinent, pour la

  1. Les passages ci-dessous de ce questionnaire montrent à quel point les Américains manquent du sens, ou du flair, des difficultés auxquelles ils ont à faire face :
    « 4° Quelles sont les fermes et plantations dont les moines tiraient de grands revenus ; où sont-elles situées ?
    « 5° Quelles fonctions civiles et politiques, du temps de la domination espagnole, exerçaient les religieux et quels étaient leurs rapports avec les alcades et autres représentans du gouvernement ?
    « 6° Quelles taxes prélevaient les desservans pour la célébration d’un mariage, d’un baptême ou d’un enterrement ? Savez-vous si elles étaient basées sur un tarif déterminé, officiel, et si, en raison de leur haut prix, un mariage pouvait parfois ne pas s’effectuer ?
    « 7° Pensez-vous que les relations qui existaient entre desservans et fidèles se seraient modifiées, si les premiers, n’ayant ni influence politique, ni pouvoir civil à exercer, n’eussent reçu pour vivre que les dons volontaires des seconds ?
    « 8° Quelle était la moralité des religieux établis dans votre province ? Comment avez-vous pu en juger ? Citez-nous quelques faits à l’appui de votre opinion ?
    « 9° Quelle est la raison majeure de l’inimitié que les Philippins ont vouée aux moines d’Espagne ? Cette haine implacable s’étend-elle à tous les ordres monastiques ? En connaissez-vous faisant exception ?
    « 10° On accuse les moines d’avoir fait déporter un grand nombre de Philippins patriotes, et même d’en avoir torturé quelques-uns. Pouvez-vous citer des faits précis à l’appui de ces accusations ?
    « 11° Qu’arriverait-il, si les moines chassés par le peuple philippin de leurs cures y étaient réintégrés ?
    « 12° Quel effet produirait dans le pays la nomination d’un archevêque américain ?
    « 13° Que penserait-on si, dans chaque école, une heure avant les études, une instruction religieuse était faite aux élèves par un ministre de n’importe quelle religion ? Pourrait-on y associer les deux enseignemens ?
    « 14° Quel effet produirait l’expropriation, par le gouvernement américain, des biens monastiques, si, après avoir indemnisé leurs propriétaires, le même gouvernement vendait ces biens par parcelles et en appliquait le montant à l’édification de collèges ou autres maisons d’éducation ? »