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pensée humaine : c’est donc lui qui est l’ennemi, lui qu’il faut combattre, lui qu’il faut supprimer ou extirper.

M. Viviani serait le premier d’avis qu’il est puéril de faire la guerre à quelques moines et à quelques religieuses, si ce n’était pas là un simple commencement, une préface à des événemens ultérieurs, une ouverture à des exercices plus sérieux. D’ailleurs, il est socialiste, et, aux yeux des socialistes, il y a dans la loi un article particulièrement heureux : c’est celui qui prononce la confiscation d’une partie des biens des congrégations non autorisées. Il a été d’abord question d’un milliard à prendre aux congrégations pour le donner aux ouvriers. Un milliard ! M. Waldeck-Rousseau a énoncé ce chiffre imposant dans son discours de Toulouse : on a dû s’en réjouir dans les cafés et les estaminets des environs. Mais les socialistes intelligens savent fort bien que c’est là pure fantasmagorie. Les congrégations n’ont pas un milliard de biens immobiliers ; elles n’en ont même pas la moitié. M. Ribot, dans son éloquent discours en réponse à M. le président du Conseil, a parlé de 379 millions, et il s’appuyait sur des documens officiels. Si l’on défalque de cette somme les biens des congrégations autorisées, auxquelles le projet de loi ne touche pas, et ceux qui, d’après le projet lui-même, pourront être l’objet de reprises de la part des donateurs ou de leurs ayans droit, on arrivera à un chiffre qu’il nous est impossible de préciser, même d’une manière approximative, mais qui sera sans doute peu élevé. N’importe ; on a promis un milliard ; les socialistes, alléchés par cette promesse, ne se contenteront pas à moins. Après avoir excité leurs appétits, il faudra les satisfaire. Comment ? Le ministère sera peut-être en peine d’en trouver le moyen : eux, ne le seront pas. Ils passent leur vie à dénoncer l’argent qu’ils disent mal gagné, et qui s’accumule dans certaines mains : en quoi cet argent serait-il plus intangible et plus sacré que celui des congrégations ? S’il est plus difficilement saisissable, on en prendra du moins ce qu’on pourra. Oui, certes, les socialistes se réjouissent d’une loi, bien incomplète encore à leur gré, mais qui crée un précédent et fournit un exemple. Et voilà pourquoi les passions anti religieuses d’une part, et les cupidités socialistes de l’autre, s’unissent pour le succès de la loi sur les associations. Quant à M. le président du Conseil, sans se préoccuper de ce que cette situation a d’inquiétant et de redoutable, il fait de belles phrases de juriste du temps passé et de sophiste de tous les temps. Il multiplie les preuves d’un talent subtil et raffiné, qui a d’ailleurs peu de rapports avec les réalités ambiantes. Il n’entend rien des objections qu’on lui adresse,