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pas, et qu’il ne concevrait pas si, dans son aveuglement et son ignorance, il notait empêché de voir les choses telles qu’elles sont. L’ennemi, qu’il croit hors d’état de faire le siège de Mannheim, a déjà pris ses dispositions à cet effet et n’hésitera pas à bombarder la place. Jourdan, dont il croit le concours assuré à Pichegru sera lui-même paralysé, et la réunion des deux armées, sur laquelle compte Carnot, ne se réalisera que tardivement. D’autre part, malgré les incessantes réclamations de Pichegru, la place n’a pas été approvisionnée. Sous le feu de l’ennemi, son ravitaillement devient singulièrement difficile, sans compter qu’il n’y a ni casemates ni magasins voûtés pour protéger les munitions et provisions qu’on y jette en hâte, tant bien que mal.

Néanmoins, Pichegru se conforme aux ordres qu’il a reçus. Il laisse une garnison dans la place. Il la forme, non de ce qu’il a de plus mauvais comme troupes, ainsi qu’on l’en accusera, mais de ce qu’il peut trouver de mieux dans cette armée qu’ont découragée les cruelles privations quelle subit. S’il n’en confie pas la défense à Desaix, c’est que Desaix est à l’avant-garde des bataillons de campagne, où il rend d’importans services. Il se croit plus propre à ce poste qu’à tout autre et désire y rester. A défaut de lui, Pichegru, d’accord avec les représentans du peuple en mission, choisit le général Mont aigu.

Est-ce un général incapable, sans talens, sans énergie ? Ses états de services répondent. Il a quarante-quatre ans. Il s’est engagés à dix-sept. Il a conquis ses grades à la pointe de l’épée. Il est couvert de blessures. Il s’est distingué en Hollande. A Fleurus, il s’est battu pendant trois jours. A Marchiennes, il a victorieusement défendu le pont à la tête de quarante grenadiers et sous le feu de huit obusiers. Le 18 thermidor de l’an II, étant déjà général de division, il a été destitué par le Comité de Salut public, sur une de ces dénonciations dont, à cette époque, étaient si fréquemment victimes les généraux. Il a trouvé aussitôt des défenseurs parmi ses camarades. Bernadotte, Duhesme, Favereau, Ferrand ont répondu de lui. Le fougueux et véridique Kléber a écrit au Comité : « Il a montré partout les plus grands talens militaires, les intentions les plus droites et le républicanisme le plus prononcé. » Et, sous cette attestation, le général en chef de l’armée de Sambre-et-Meuse, Jourdan, a tracé celle ligne : « J’approuve le certificat ci-dessus. » Devant de tels témoignages, le Comité est revenu sur sa décision, Montaigu