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trouveront déjoués par les événemens. Qu’il se souvienne de ma prédiction. Il paraît qu’il veut convertir toute son armée. Il n’y parviendra pas, et cela ne me paraît pas nécessaire. Pourvu que nous en ayons plus des deux tiers, nous mettrons bien le reste à la raison. »

Pichegru continue à ne pas répondre, bien que Condé déclare « que quelques lignes de sa main seraient plus décisives que tout le reste » et, dans la seconde quinzaine de mars, éclate la nouvelle de sa démission, acceptée enfin par le Directoire. Elle consterne Condé et déconcerte ses émissaires. Mais, bien vite, ils se reprennent. Prompt à se retourner, l’infatigable Demougé s’efforce de démontrer que « c’est un fin coup de collier pour la chose. » Il ne croit pas la partie perdue. Il est même sûr « que c’est pour le mieux, car Pichegru est homme à sacrifier l’apparence de sa propre gloire au véritable intérêt de la chose. » Et il ajoute : « La Providence ne nous a pas conduits si loin pour rien. » Il annonce que Pichegru reviendrai l’armée avec Moreau, qu’il a fait nommer à sa place. Il insiste pour que les fonds promis au général lui soient livrés dès sa première demande. « Je ne doute pas qu’il n’exécute les projets dont il s’occupe. » Mais, cette fois, il ne parvient, pas à persuader Condé. « Je suis bien persuadé que Pichegru n’est plus à présent en position de nous être utile. C’est une chimère que d’imaginer qu’on le laissera revenir à son armée. Il va se reposer sur ses lauriers, dans sa famille ; la paix va se faire ou la trêve va se rompre. Il sera spectateur tranquille, sans pouvoir, par malheur, influer en rien sur les événemens. Ah ! s’il avait voulu me croire, sa fortune serait faite maintenant et la contre-révolution bien avancée. »

A l’heure où Condé exprimait ces craintes et ces regrets, Pichegru n’était plus en Alsace, mais à Paris, où il s’était rendu sa démission envoyée. Confirmant les dires de Barras dans ses Mémoires, La Revellière-Lepeaux écrit à ce sujet dans les siens : « J’atteste que ce général n’avait jamais éprouvé ni du Directoire ni d’aucun de ses membres rien qui pût motiver son mécontentement. Il avait, au contraire, obtenu constamment du gouvernement toutes les marques de bienveillance et de confiance que pouvait lui attirer la réputation dont il jouissait alors. Ce ne fut qu’après des demandes très réitérées et très pressantes de sa part, et à la suite de plusieurs réponses du gouvernement très obligeantes et très propres à l’encourager, que sa démission fut acceptée. »