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fois sous les enseignes du vainqueur probable. Ces distinctions me paraissent un peu subtiles. Il a soufflé sur Vergniaud, qui croyait avoir des principes parce qu’il était tout vibrant de mots sonores, pourquoi n’aurait-il pas soufflé sur Fouché, qui n’avait ni principes ni éloquence, cet effroyable vent de lâcheté, le plus atroce fléau des troupeaux parlementaires, qui fait soudain d’un homme honnête et résolu le complice tremblant des pires scélérats ?

Quoi qu’il en soit, le vote du régicide orientera désormais toute sa conduite. Comme tant d’autres, plus que tous les autres, peut-être, cet homme naturellement débonnaire estimera qu’on ne saurait mettre trop de sang dans le fossé qu’il a creusé entre lui et l’ancienne monarchie. Il en versera des flots pour sa part. Chose singulière, le sang dont il a inondé Lyon ne lui laisse qu’une gêne légère ; les milliers de spectres qui crient vengeance derrière lui, sur les décombres de la malheureuse ville, ne troubleront pas sa lucidité dans ses évolutions conservatrices, réactionnaires ; seule, la petite tache du sang royal lui apparaîtra inquiétante, ineffaçable. — « Disparais, tache damnée, disparais, te dis-je… » Cette adjuration de lady Macbeth, on l’entend en sourdine sous toutes les harangues du citoyen Fouché, sous les conversations diplomatiques du duc d’Otrante. Jacobin repenti, puis grand dignitaire de l’Empire, toutes ses déterminations seront influencées, et ses meilleurs calculs souvent faussés par l’obsession du 21 janvier. Il jouera toutes les combinaisons, sauf celle de la monarchie ; jusqu’en 1815, jusqu’au coup de fortune inespéré qui le fera rentrer en grâce près des frères de sa victime, mais avec moins de foi dans son étoile, avec quelque chose de brisé dans sa belle assurance coutumière, comme si son regard louchait toujours vers la petite tache, pardonnée par les autres, indélébile et irrémissible pour lui seul.

Terroriste terrorisé par son vote fatal, le girondin de la veille va du premier bond aux extrêmes, par-dessus la Montagne, par-delà Danton, par-delà Robespierre, jusqu’au groupe où hurlent Hébert et Chaumette. Mais nulle place n’est sure à la Convention, aucun civisme n’est assez pur. Les missions dans les départemens, l’organisation des levées de volontaires contre les brigands de l’Ouest, voilà l’emploi où un habile homme peut se mettre en évidence, avec le plus de profit et le moins de danger.