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Tabarin, qui vieillissait, a pris sa retraite : une opulente et menteuse retraite. Avec l’argent qu’il a gagné sur les tréteaux, il s’est acheté des titres, un domaine, où, sous le nom du sire de Beauval, il donne des festins et des chasses à la noblesse du pays. Il ne lui reste d’autrefois qu’une fille et une servante : l’une qui connaît son passé et l’autre qui l’ignore. Or il advint que sa fille et le fils d’un gentilhomme du voisinage s’aimèrent. Et, les pères étant d’accord, les enfans allaient se marier, quand une troupe de comédiens s’arrêta, devant le château. Mondor, qui la dirige ; Mondor, l’ancien camarade de Tabarin, sollicite l’honneur et le profit de divertir la société, et le châtelain, épouvanté, refuse d’abord. Mais Mondor le reconnaît. Il reconnaît, avec discrétion et sans le trahir, mais avec tendresse, le vieux et cher compagnon, dont le talent fit si longtemps leur gloire à tous et leur fortune, et dont le départ, hélas ! a fait leur misère. Il le supplie de consentir, et par pitié, par amitié aussi, Tabarin consent. Il assiste seul à la répétition de la pièce, d’une pièce qui fut son triomphe autrefois. Il écoute, il conseille, il applaudit tous les personnages, hormis naturellement le sien. A voir mal jouer son rôle, il souffre, il enrage d’abord, jusqu’à ce qu’enfin il s’oublie, ou plutôt se retrouve. Son ancien démon le reprend ; il bondit sur l’estrade et brûle les planches, redevenues siennes, de tout le feu rallumé de son génie. Et vous devinez le coup de théâtre : la rentrée des invités, le scandale et la rupture qui s’ensuit. Mais peut-être n’attendiez-vous pas qu’un dénouement tragique fût ici nécessaire ou seulement convenable, et que le pauvre père dût se tuer d’un coup de mousquet, pour que le père noble unît les mains des amoureux sous le dernier regard du comédien mourant.

En musique pas plus qu’en paroles, et par le fait même des paroles, il ne pouvait s’agir ici d’une comédie de caractères ou d’action, je veux dire d’action intérieure. L’agrément ne se trouve guère qu’au dehors, en des épisodes, ou des détails. Mais il s’y trouve très vif, et presque partout. Il est fait de clarté, de vivacité, de finesse et de goût. De justesse aussi, car la musique de M. Pierné, spirituelle souvent et, quand il le faut, sensible, ne force jamais la note, ni les notes, et jamais ne passe la mesure. Elle n’a besoin, pour charmer, que de riens : au premier acte, les apprêts d’un déjeuner ; un personnage qui entre, — il est vrai que c’est M. Fugère, — avec une chanson de ; vendange aux lèvres ; un benedicite lestement expédié par un moine et quelques chasseurs qui se mettent à table. Mais la petite prière épulatoire est d’une harmonieuse polyphonie ; mais le refrain