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à une crise qui mettrait en conflit les Hellènes et le sultan, et serait beaucoup plus dangereuse que l’affaire serbe. D’autre part, le Cabinet de Saint-Pétersbourg, si flatteuse, que fût pour lui la victoire de l’armée bulgare formée et instruite par des officiers russes, ne s’en montrait pas moins toujours hostile aux prétentions du prince Alexandre.

Il était urgent toutefois de prendre un parti. À Berlin, on affectait de dédaigner ces querelles, et l’on semblait disposé à « laisser la situation se débrouiller lentement, » mais les autres Cours ne jugeaient point prudent d’abandonner à eux-mêmes tant d’adversaires irrités, et voulaient à tout prix les mettre d’accord. Elles procédèrent donc entre elles à un échange d’idées, et s’arrêtèrent, faute de mieux, à un compromis dont on avait parlé déjà quelque temps avant la guerre serbe, et qui leur parut concilier, par un détour ingénieux, le traité de Berlin avec les nécessités présentes, en préserver, sinon l’esprit, du moins le texte. Or, que disait l’article 17 ? « Le gouverneur général de la Roumélie orientale sera nommé par la Porte, avec l’assentiment des Puissances pour un terme de cinq ans ; » il suffisait donc, puisque nulle restriction n’était indiquée pour le choix de la personne, que le sultan désignât le prince Alexandre : de la sorte les deux provinces bulgares étaient réunies, selon leurs vœux, sous le même gouvernement, par un acte qui pouvait être indéfiniment renouvelé, et le traité ne subissait, en apparence, aucune atteinte. Il est vrai que cette combinaison était absolument contraire à la pensée des négociateurs qui avaient voulu séparer la Principauté de la province autonome, et qu’on détruisait ainsi l’économie et le sens même du traité dont on n’altérait point la forme littérale. Il y avait toutefois un précédent : en 1859, la Moldavie et la Valachie, en élisant le même prince, avaient déjoué les conventions diplomatiques qui les avaient séparées. Quoiqu’on usant aujourd’hui de ce procédé, les Cabinets, contraires jadis à l’élection roumaine, comprissent parfaitement le caractère captieux d’un subterfuge analogue, ils ne voyaient pas d’autre moyen de satisfaire les Bulgares et de laisser intacte la rédaction de Berlin. En vérité, — et c’était là le point capital de la question, — ils se trouvaient appelés à opter entre l’autorité des contrats et la volonté populaire. Or, ne voulant se prononcer résolument pour l’une ou pour l’autre, ils envisageaient avec faveur une transaction de circonstance. Ils accueillirent donc