Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/32

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

marchands de bicyclettes. Ce commerce, menacé qu’il est par les grands magasins de Paris, vend à petits bénéfices, et retient, à force de patience et de prévenance et, qui pis est, de crédit, une clientèle mobile, toujours séduite par la réclame, et toujours prête à s’envoler.

Que faut-il encore, pour compléter la liste des 10 000 ou 12 000 habitans qui garnissent la ville et ses faubourgs ? Quelques cultivateurs qui « font valoir » les terres des alentours, quelques vignerons qui deviennent de plus en plus rares, des jardiniers, des fleuristes, dont les affaires s’accroissent chaque jour ; et puis, sur la ville haute, dans les quartiers solitaires et silencieux, quelques vieilles familles, des rentiers, anciens magistrats, anciens officiers, anciens cultivateurs, venus à la ville pour parfaire l’éducation des enfans, d’anciens employés, braves gens qui terminent une vie utile en prenant le soleil de « la Cuve » ou en risquant parfois, le soir, les plus hardis, une partie de manille au café du Commerce.

Activité somnolente de l’administration, mouvement médiocre du commerce local ; assoupissement complet des rentiers, propriétaires, « retraités, » voilà toute la ville, quand le concours des populations extérieures ne lui donne pas le coup de fouet des affaires. Des enfans qui vont au lycée, le carton sous le bras, une dévote qui, d’un pas furtif, se glisse vers l’église, deux messieurs qui s’arrêtent dans la rue et disent longuement des choses d’intérêt mince, des hommes et des dames qui se saisissent de l’œil à la rencontre et se saluent profondément, un chien qui aboie, les cloches qui sonnent avec un glas long et terrible, voilà le terre à terre de la vie quotidienne, avec la pratique tranquille des vertus provinciales : la prudence, le calme, le bon sens et surtout l’épargne et la parcimonie, dans toutes les classes de la société. Parmi tout cela, de l’entrain, de la gaieté, de la bonne humeur, de la douceur ; pas de passions violentes ni de sentimens bas ; une grande égalité de mœurs, malgré les distinctions que voudrait marquer la vanité. Ni noblesse, ni classe ouvrière ; rien que de la classe moyenne, les uns étant, aujourd’hui, ce que les autres seront demain : les fils d’artisans devenant commerçans, les fils de commerçans devenant fonctionnaires ou robins, par un jeu continu, admis, régulier, auquel tout le monde se conforme, malgré les petits sursauts apparens ; en somme une vie sociale très douce, très plane, très unie, pareille à