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rejoignant et s’additionnant, l’une et l’autre ont en somme donné.

A cet égard, ou de ce point de vue, les idées et les lois elles-mêmes sont des faits ; pourtant, comme rien n’est plus un fait qu’un fait, le mieux sans doute est de commencer par les faits proprement dits. Mais, puisque la révolution, la transformation a été double, en même temps économique et politique, il y aura lieu par conséquent de distinguer entre deux ordres de faits, — économiques et politiques ; — puis, dans ces deux ordres, entre différens genres, faits matériels, ou moraux, ou sociaux, affectant le Travail, ou le Nombre, ou l’Etat ; car il est essentiel de ne jamais oublier un des tenues du problème, et, au contraire, de se rappeler toujours que, dans l’Etat moderne, après un siècle de grande industrie et un demi-siècle de suffrage universel, le Travail ne peut être considéré indépendamment de l’Etat, ni l’Etat indépendamment du Nombre.


I

Le fait matériel qui domine la révolution économique, c’est l’application de la vapeur, comme force motrice, aux usages industriels. Il est plus difficile qu’on ne croit d’en donner exactement la date ; quelqu’un l’a dit : « Les grandes inventions ne sont jamais l’œuvre d’un seul ; une grande invention est la résultante des efforts accumulés d’une longue succession de travailleurs[1]. » Il semble bien cependant que le premier moteur à vapeur approprié à celle destination spéciale ait fait son apparition à Manchester, chez Boulton et Watt, en 1790 ; que si, par hasard, ce n’était pas le premier, et qu’il y en eût d’autres, en tout cas on n’en trouverait point avant 1780 ou 1785.

Avant 1790, ou, en tout cas, avant 1780, avant cette « grande invention, » il y a quelque abus de mots à parler de « grande industrie, » — de la grande industrie de type moderne, caractérisée par la concentration en un seul lieu de l’outillage, de l’ouvrage et d’une multitude ouvrière, par le changement de l’atelier en usine ; — ou si, depuis les environs de 1750, on peut citer des exceptions, ce ne sont encore que des exceptions, et on les compte[2].

  1. Voy. R. Thurston, Histoire de la machine à vapeur ; deux vol. de la Bibliothèque scientifique internationale ; Alcan, 1880-1882.
  2. A La Réole, vers 1750, une corderie emploie 300 personnes ; à Troyes, un tissage en occupe 400 ; à Thiers, une coutellerie en emploie 450 ; la quincaillerie d’Alcock en occupe 500. De 1758 à 1761, la manufacture royale de mousselines du Puy emploie jusqu’à 1200 personnes : en 1750, les Van Robais d’Abbeville en occupent dans leur manufacture de draps jusqu’à 1550 ; et, à la même date, près de Limoges, une autre manufacture royale d’étoiles de soie et de coton fait travailler jusqu’à 1 800 personnes. — Voyez Germain Martin, la Grande industrie en France sous le règne de Louis XV, p. 206.