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c’est-à-dire depuis que la division de la propriété et le système moderne de la rémunération des capitaux ont stimulé les habitudes d’économie naturelles à la race. N’étant plus pillé, ni rançonné, ni inquiet de l’avenir, ce peuple a suivi son inclination et s’est mis à épargner, de père en fils, sans discontinuer. Il a fait des révolutions pour avoir cette sécurité : il en profite. Toutes les parties de la nation, divisées sur tant d’autres points, suivent les mêmes voies quand il s’agit de l’économie. Toutes elles s’efforcent de créer la richesse et de la développer par le même procédé de l’héréditaire parcimonie.

Déjà, il est presque impossible d’évaluer l’accumulation de fortune qui s’est ainsi constituée. Le « bas de laine » est devenu un des facteurs les plus puissans de l’Economique moderne. De grands établissemens financiers l’ont compris et, tandis que le Forum s’agite, ils ont établi leur puissance et étendu celle du pays, au dehors, par la concentration et l’utilisation de cette intime quantité de petits capitaux. L’ancien coffre, où s’entassaient, au moyen âge, les lingots, les pièces de monnaie, les fourrures, les étoffes, les bijoux, en un mot la fortune « mobilière » de nos pères a disparu. Les grandes banques ont maintenant une succursale en chacune de nos villes de province et leurs caisses, qui s’emplissent et se vident sans cesse, alimentent la grande activité financière qui fait, de plus en plus, de Paris, une des premières places du monde.

Ainsi, une politique nouvelle se crée, au dedans et au dehors, comme aboutissant de l’accumulation lente des médiocres efforts bourgeois. Des intermédiaires hardis ou habiles, — qui ne sont pas tous des Français, — transforment la face de la terre, pour trouver, en quelque pays nouveau, un emploi à l’énergie latente que l’activité de nos fourmilières provinciales a produite et mise en réserve.

Rendons justice à nos petites agglomérations, de vie si terne et si effacée : la loi du sacrifice perpétuel et de l’abnégation quotidienne, — qui jadis a bâti la fière cathédrale, — et que les générations présentes s’imposent par une routine sans récompense et sans gloire, est en train d’assurer à la France, dans les grandes luttes internationales, où l’on se bat à coups de milliards, une influence et des succès qui valent, peut-être, des triomphes plus apparens et des victoires plus éclatantes.


G. HANOTAUX.