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réunion. Sur ce prix, elle devait encore 500 ou 600 000 francs. Les créanciers, parmi lesquels figurait le prince Murat, réclamaient leur remboursement. Pour les payer, il fallait emprunter. Le Maréchal s’adressa au Crédit Foncier. Là il se heurta à une objection légale. Le Grand Orient n’était pas investi de la personnalité civile. Pour acheter son immeuble, il avait constitué, dans une forme analogue à celle qui venait d’être imaginée pour les congrégations religieuses, une société civile à laquelle avait été attribuée la propriété nominale. Mais cette société, simple prête-nom fictif, ne présentait pas les conditions légales indispensables pour satisfaire aux exigences des statuts du Crédit Foncier.

Il fallut aviser. Afin de donner à l’Association maçonnique la qualité légale qui lui manquait, le Maréchal demanda qu’elle fût reconnue comme établissement d’utilité publique.

À tout autre moment, personne n’eût songé à accueillir une telle demande. Mais, à cette époque, la question romaine agitait les esprits. Les catholiques, longtemps favorables à l’Empire, commençaient à passer dans l’opposition. La Société de Saint-Vincent-de-Paul, avec ses conférences répandues dans tout le pays, était une puissance. Le gouvernement craignit qu’elle ne cherchât à exercer une influence politique dans les élections qui allaient avoir lieu au mois de mai 1863 ; et il voulut annuler cette influence, ou s’en emparer. Il offrit à la Société de Saint-Vincent-de-Paul de la reconnaître comme établissement d’utilité publique. Cette faveur aurait assuré à la Société de grands avantages : le droit de devenir propriétaire sans avoir besoin de recourir à un prête-nom, de placer ses fonds en son nom, d’ester en justice ; le droit de revendiquer devant les tribunaux la délivrance des legs nombreux qui lui étaient adressés, et dont, à défaut de personnalité légale, elle était obligée d’attendre le paiement de la bonne volonté souvent peu empressée des héritiers. Mais d’autre part, la reconnaissance impliquait le contrôle de l’administration. Elle aurait placé la Société ; sous la tutelle des pouvoirs publics, l’aurait obligée à rendre des comptes, à demander des autorisations, etc. Elle aurait, en un mot, fait disparaître l’indépendance dont la Société avait joui jusqu’alors. La Société de Saint-Vincent-de-Paul, redoutant l’avenir, et ne se souciant pas d’aliéner sa liberté d’action, refusa la faveur qui lui était offerte.

Par une coïncidence singulière, ce fut à ce même moment